206 av JC - 2025
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"L'unité ethnique est très importante. […] Les 56 groupes ethniques s'unissent pour forger la communauté de la nation chinoise. La nation chinoise est une grande famille.” Discours de Xi Jinping dans le Ningxia en juin 2024.
Luttes indépendantistes, répressions violentes, camps de travail, assimilation forcée, la réalité est bien différente des communications officielles de Xi Jinping qui présentent la Chine comme une “grande famille” unie. Le Parti Communiste demeure intraitable face aux rebellions : il est hors de question de morceler la Grande Nation Chinoise. Régions autonomes, régions administratives spéciales, Xinjiang, Tibet, Hong-Kong, Taïwan, je vous explique.
Au programme
Les Hans, l’ethnie majoritaire
Le Tibet, la soumission des lamas
Le Xinjiang, la destruction de tout un peuple
Hong Kong, la fin de l’indépendance
Taïwan, le suspens à son comble
Comment en est-on arrivé à cette situation épineuse ?
Les Hans, l’ethnie majoritaire
Nous avons souvent tendance à confondre culture chinoise et culture Han. Les Hans représentent l’ethnie majoritaire en Chine (92%) : ils parlent le mandarin et sont issus de la dynastie Han qui régnait de 220 av JC à 206 ap JC. Mais il existe aussi 55 minorités, dotés de leur propre langue et culture, telles que les Miao, les Tibétains, les Zhuang, les Ouïghours ou encore les Mandchous. Elle sont officiellement reconnues par le gouvernement et constituent 8% de la population, soit 105M de personnes !
S’ils sont majoritaires, les Hans n’ont pas toujours eu le pouvoir. Souvenez-vous de l’article sur l’ère impériale : les Mongols de Kubilai Khan ont envahi la Chine en 1271 pour instaurer la dynastie Yuan, discriminante à l’égard des Hans. Les Qing (1644-1912), d’ethnie Mandchoue, peuple du Nord-Est, ont, quant à eux, renversé la prestigieuse dynastie des Ming (d’ethnie Han) pour régner 300 ans sur la Chine. Les Hans ont donc connu l’occupation, l’humiliation et restent aujourd’hui très attachés à leur pouvoir. Ils sont majoritairement présents à l’est du pays, sur la zone côtière tandis que les minorités sont représentées dans les régions de l’Ouest.
Territoire historique de l’ère impériale, la côte orientale est aussi l’emplacement de toutes les grandes métropoles et des régions les plus riches puisqu’elles sont nées des Zones Economiques Spéciales (ZES) crées lors de la libéralisation de l’économie dans les années 80 (cf article n°4 sur le boom économique). Il y a donc une forte disparité économique entre les régions qui se traduit par des inégalités de richesse entre ethnies.
Des régions faussement autonomes et violemment réprimées
La Chine est constituée de la région principale, à l’est, sur la côte, et des régions de l’ouest et du nord, continentales. Ces dernières ont le statut particulier de “région autonome” et sont délimitées selon les ethnies locales (cf carte ci-dessous). Mais de plus en plus, elles n’ont d’autonome que le nom.
Les 5 régions autonomes : fonctionnement, en théorie et en pratique
La Constitution adoptée en 1954 par la République Populaire de Chine dirigée par Mao encadre le statut des 5 Régions Autonomes :
- La région du Guangxi dont les Zhuang sont l’ethnie majoritaire
- La Mongolie Intérieure dont les Mongols sont l’ethnie majoritaire
- La région du Níngxià dont les Hui sont l’ethnie majoritaire
- La région du Xinjiang dont les Ouïghours sont l’ethnie majoritaire
- La région du Tibet dont les Tibétains sont l’ethnie majoritaire
Ces 5 régions ont un statut à part : elles sont censées pouvoir adapter les lois nationales comme elles l’entendent avec l’accord du pouvoir central. On connait le caractère quelque peu autoritaire de Mao, cela n’arrivera pas sous sa gouvernance : le Grand Bond en Avant et la Révolution Culturelle sont loin d’être propices à l’épanouissement des activités culturelles quelles qu’elles soient.
Lorsque Deng Xiaoping accède au pouvoir dans les années 80, il a à coeur d’en finir avec la Révolution Culturelle qui a traumatisé le pays et l’a empêché de pratiquer les coutumes traditionnelles. En 1984, il promulgue la Loi sur l'autonomie des régions ethniques. Elle garantit l’autonomie administrative aux Régions autonomes, le droit d’utiliser leur langue locale et le droit de pratiquer leurs coutumes. Des politiques de discriminations positives sont même mises en place pour réduire les inégalités entre régions : les minorités ne sont pas concernées par la politique de l’enfant unique, des bonus favorisent les étudiants des ethnies minoritaires aux examens d’entrée à l’université et des internats sont créés dans les régions reculées pour favoriser l’éducation. De 1984 à 1989, la loi est plus ou moins appliquée, Deng Xiaoping mène les réformes de libéralisation, c’est une période d’ouverture et de détente.
Mais les circonstances à partir de 1989 changent radicalement l’attitude du Parti à l’égard des minorités et l’autonomie régionale devient vite une structure administrative vide. Il faut ici se souvenir que la même année, Deng Xiaoping décide de réprimer dans la violence les manifestations de Tiananmen. Il a fait son choix : celui de l’autorité.
Au Tibet et au Xinjiang, les revendications d’indépendance deviennent fréquentes. Au Tibet, les manifestations sont nombreuses dans les années 90, toujours matées dans le sang, jusqu’au soulèvement particulièrement important en mars 2008 à Lhassa. On compte plusieurs dizaines de morts civils et des centaines d’arrestations. Au Xinjiang, les rebelles mènent plusieurs attentats (explosions de bus par exemple) entre 1992 et 1997 auxquels Le Parti Communisme répond avec sa campagne de « Lutte contre le séparatisme » (1996-2000) qui réprime tout activisme culturel et religieux ouïghours. En 2009, des émeutes très violentes entre Hans et Ouïghours ont lieu à Urumqi (capitale du Xinjiang). Les Ouïghours se rebellent en réaction à la campagne “Go West” du gouvernement dont l’objectif est d’encourager un afflux massif de colons Hans dans ces régions en développant des infrastructures, ferroviaires par exemple.
Xi Jinping, la notion d’ethnie chinoise et l’assimilation forcée
Xi Jinping arrive au pouvoir en 2013, la situation dans les régions autonomes est déjà très tendue. Il sera encore plus dur que ses prédécesseurs : il met fin aux politiques de discriminations positives, durcit la répression des opposants et procède à l’assimilation organisée et forcée de ces régions.
Pourquoi les dirigeants chinois, et Xi particulièrement, tiennent-ils tant à l’appartenance de ces régions à la République Populaire de Chine ?
Après tout, elles ne sont pas historiquement chinoises, leur culture et leur religion sont très différentes de celles des Hans et ces peuples ne cessent de se rebeller. Les dirigeants du Parti Communiste sont pourtant intraitables, Xi Jinping tout particulièrement. Les raisons sont à la fois politiques, idéologiques et économiques :
- D’abord, accorder l’indépendance à une région pourrait encourager d'autres territoires (comme Hong Kong ou Taïwan) à demander la même chose, menaçant la stabilité de l’État chinois.
- D’un point de vue idéologique, Xi Jinping ne considère plus la Chine comme une somme d’ethnies égales pouvant adapter les lois centrales à leurs spécificités mais comme une identité socialiste commune. Dès 2014, la quatrième réunion du Comité central sur le travail ethnique conclut que l’économie socialiste de marché a permis l’émergence d’un marché unique, d’une identité socialiste et que l’intégration est nécessaire au progrès de la civilisation chinoise. En 2017, les concepts d’ « autonomie régionale des ethnies » et d’« égalité des ethnies » sont remplacés par celui d’« une ethnie chinoise commune». Une indépendance, même partielle, remettrait en question le discours idéologique du Parti Communiste Chinois qui repose sur la restauration de la grandeur de la civilisation chinoise après le "siècle d’humiliation".
- Et puis bien sûr, le Tibet et le Xinjiang sont des régions très intéressantes d’un point de vue géostratégique et des ressources naturelles. Par exemple, le Xinjiang possède d'importantes réserves de pétrole, de gaz et de minerais rares et se situe sur le passage des Nouvelles Routes de la Soie (cf article n°8 sur l’influence internationale). Le Tibet, quant à lui, est le “château d’eau de l’Asie”, il abrite les sources de nombreux fleuves comme le Yangtsé, le Mékong, le Brahmapoutre, fleuves qui permettent la production d’hydroélectricité. Par exemple, la Chine a approuvé fin 2024 la construction du barrage de Motuo sur le haut plateau tibétain qui aura une capacité de 60 gigawatts, soit le triple du barrage des Trois-Gorges (actuellement le plus puissant du monde).
Quelles sont les méthodes de Xi Jinping pour maintenir l’unité nationale ?
Xi Jinping commence par mettre en place une propagande soigneusement élaborée. Il affirme que le Tibet et le Xinjiang ont toujours fait partie intégrante de la Chine, disqualifiant ainsi toute revendication indépendantiste. Cette narration officielle s’adresse principalement à la majorité Han, à qui l’on répète inlassablement que les séparatistes sont des terroristes. La plupart des citoyens chinois ignorent la réalité de ces régions lointaines, et ne retiennent que les attentats perpétrés par certains Ouïghours dans les années 1990 et 2000. Et puis, ils sont convaincus que leur pays gère la menace terroriste plus efficacement que les puissances occidentales, surtout après les attentats à New York en 2001. Ils adhèrent donc sans grand questionnement à la version officielle.
Le Parti Communiste mène aussi de grands projets d’infrastructure, notamment de transports (gare, routes et aéroports) pour désenclaver les régions et dynamiser leur économie. Ces régions se sont effectivement incroyablement développées, ce qui a des retombées très positives sur les populations. Mais c’est aussi une manière d’y favoriser la migration de Hans et de militaires pour y maintenir l’ordre.
Des mesures d’assimilation forcée sont finalement entreprises :
“Pékin veut assimiler les minorités, leur imposer la modernité “aux caractéristiques chinoises” et réduire leurs culture à un folklore de pacotille. Lemaître, Frédéric. Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping. 2024. Tallandier. p202.
D’un côté, les autorités chinoises organisent des spectacles mettant en valeur les danses ouïghoures ou les costumes traditionnels des minorités ; de l’autre, elles interdisent le port du voile, ferment les mosquées et imposent des politiques de stérilisation forcée. Le développement du tourisme intérieur sert ainsi à folkloriser ces cultures, réduites à des éléments pittoresques destinés au divertissement. Les régions de l’ouest - Xinjiang, Tibet, Yunnan, Sichuan, Gansu - sont désormais aisément accessibles grâce à l’extension massive des infrastructures (autoroutes, lignes ferroviaires à grande vitesse, hôtels,…). Les touristes chinois y affluent en nombre, n’hésitant pas à se faire photographier en costumes « ethniques » loués pour l’occasion, transformant ces identités en décor.
Parallèlement, le Parti communiste chinois fait de la « sinisation » des cultures une priorité stratégique. Cela passe notamment par la généralisation des internats, où sont accueillis dès leur plus jeune âge des enfants issus de minorités ethniques. L’enseignement y est exclusivement dispensé en mandarin, et l’histoire de la Chine y est présentée selon la version officielle du Parti : une célébration de l’unité nationale, occultant les violences et les oppressions subies par ces peuples. Ce système éducatif engendre un profond fossé culturel entre les générations, accélérant l’érosion, voire la disparition, des cultures minoritaires. Selon plusieurs rapports de l’ONU et d’ONG internationales, environ 80 % des enfants tibétains vivant dans la région autonome du Tibet ou dans les provinces voisines (Sichuan, Qinghai, Gansu, Yunnan) seraient aujourd’hui scolarisés dans ces internats.
Le statut de Régions autonomes, pourtant présent dans la Constitution et assuré par des lois effectives, n’est donc qu’une façade : que ce soit sur le plan politique ou culturel, le Parti Communiste fait tout pour les intégrer de force à la République Populaire de Chine.
Revenons maintenant plus en détail sur l’histoire du Tibet et du Xinjiang où les conflits sont particulièrement violents et la population férocement opprimée et exploitée.
Le Tibet, la soumission des lamas
Géographiquement et historiquement, le Tibet a toujours été un royaume à part entière plus ou moins indépendant de la Chine. L’empire Tibétain était même très grand et puissant : les tibétains ont conquis Xian (ancienne capitale de Chine) en 763. Sous les dynasties Yuan (1271-1368), Ming (1368-1644) et Qing (1644-1912), le degré d’indépendance change selon les périodes mais globalement le Tibet, qui s’étend sur tout le plateau, est plutôt autonome : il paie un tribut et on le laisse tranquille.
En 1642, le Tibet instaure sa théocratie. Le Vème Daïla-lama dirige alors tant les affaires religieuses que laïques : les dalaï-lamas successifs deviennent chefs d’État. Le palais du Potala, symbole de la théocratie tibétaine et siège du gouvernement, est construit à Lhassa, devenue capitale.
À la révolution de Sun Yat Sen de 1912, le Tibet profite du désordre pour se déclarer officiellement indépendant et crée son drapeau, son timbre et sa monnaie. Jusqu’en 1949, c’est toujours le chaos en Chine (invasion japonaise, guerre mondiale, guerre civile entre communistes et nationalistes), personne ne les embête, les dirigeants ont d’autres chats à fouetter. Cette théocratie n’est toutefois pas reconnue officiellement par la communauté internationale.
En 1950, Mao, après avoir gagné la guerre civile et proclamé la République Populaire de Chine, appelle à la « libération pacifique du Tibet » ce qui, pour lui, signifie « les envahir ». Beaucoup de monastères sont malheureusement détruits pendant la Révolution culturelle.
Depuis, le territoire du Tibet historique est occupé et découpé en 5 régions : Sichuan, Yunnan, Qinghai, le Gansu et la fameuse Région Autonome du Tibet qui n’a d’autonomie que le nom comme nous l’avons vu plus haut.
L’histoire et la culture politique tibétaines expliquent pourquoi les Tibétains n’ont jamais cessé de revendiquer leur autonomie, voire leur indépendance, face à la domination chinoise. Cette aspiration s’est traduite par des appels répétés à l’ONU, des manifestations, et des actes de désespoir tragiques : depuis 2011, 159 lamas se sont immolés par le feu pour protester contre l’oppression.
Cependant, l’espoir d’une véritable autonomie semble aujourd’hui s’éloigner. Le président Xi Jinping a affirmé la nécessité de "siniser" les religions, et promeut la "fusion ethnique" au sein de la grande nation chinoise. Cela passe par l’imposition du mandarin dans l’enseignement, la généralisation des pensionnats éloignant les enfants de leurs familles, et une politique qui vise à effacer progressivement la culture tibétaine.
De plus, le Daïla-lama n’étant plus tout jeune, la question de sa succession se pose. Le Parti Communiste Chinois affirme détenir l’autorité finale sur la désignation du futur Dalaï-Lama et entend ainsi contrôler la succession afin d’imposer un chef spirituel fidèle à ses intérêts. Face à cette tentative d’ingérence, le Dalaï-Lama en exil a laissé entendre qu’il pourrait mettre fin à la lignée, choisir lui-même son successeur, ou même se réincarner hors du Tibet, dans un pays libre, pour échapper au contrôle chinois.
Le Xinjiang, la destruction du peuple Ouïghour
Carrefour des mondes entre Orient et Occident, la région du Xinjiang a une histoire complexe. Tantôt vassaux et alliés des dynasties chinoises Han (-220 ap JC, 206 ap JC) et Tang (618-907) qui cherchent à s’enrichir grâce à des routes commerciales en Asie Centrale, les peuples de cette région ont de tout temps, et plus que jamais aujourd’hui, vu leur destin étroitement lié à celui des fameuses Routes de la Soie.
Le peuple Ouïghour est historiquement originaire de Mongolie et constituait le Khaganat Ouïghour. Celui-ci s’effondre en 849, provoquant la migration du peuple dans le Xinjiang. Leur présence y est donc ancienne de plus de 1 100 ans ! Le territoire du Xinjiang est ensuite morcelé. Il est partagé entre le Royaume Ouïghour de Qocho (env. 850–1209) et des empires turco-musulmans et mongols, qui islamisent la région. En 1209, les Ouïghours de Qocho sont intégrés au khanat de Djaghataï, un des quatre Khanats dont héritent les descendants de Gengis Khan (en vert foncé sur l’animation). Pour rappel, Kubilai Khan, autre descendant de Gengis, fonde la dynastie Yuan en Chine (en violet sur l’animation).
Sous les Ming (1368-1644) , se forme dans le Xinjiang le Mogholistan, un État turco-mongol musulman sunnite fondé par les descendants de Djaghataï Khan, complètement indépendant des chinois. La région est finalement conquise par la dynastie mandchoue des Qing (1644-1912) entre 1755 et 1759 et intégrée à leur empire. C’est la première fois qu’elle fait l’objet d’une administration directe chinoise.
Ce rappel historique montre que le Xinjiang n’a été incorporé à l’Empire chinois que tardivement, au 18ème siècle. Il n’y a pas vraiment de liens ethniques, culturels et religieux entre ses habitants et la population majoritaire chinoise, ce qui explique la volonté de la région de devenir plus autonome, voire indépendante.
En 1933, dans un contexte de désordre en Chine, des nationalistes ouïghours proclament une république indépendante à Kashgar, c’est la Première République islamique du Turkestan oriental, fondée sur une identité islamique et ouïghoure, opposée au pouvoir chinois et soviétique. Mais cette république ne dure que quelques mois à cause de l’intervention et l’invasion de l’URSS qui établit un régime proche du stalinisme. En 1944, profitant du chaos de la Seconde Guerre mondiale, les ouïghours se révoltent et proclament la Deuxième République du Turkestan oriental. Elle contrôle une partie du nord du Xinjiang jusqu’en 1949, et entretient une administration musulmane, turque, semi-socialiste.
En octobre 1949, les communistes de Mao proclament la République populaire de Chine et le Xinjiang y est “pacifiquement” intégré, obtenant ainsi le statut de Région Autonome. Comme tous les Chinois, ils subissent la Révolution culturelle de Mao : des mosquées, manuscrits, monuments religieux sont détruits.
Dans les années 90, des mouvements indépendantistes apparaissent en réaction aux politiques d’assimilation. Ils ont pour objectif de fonder une nouvelle République du Turkestan oriental à l’instar de celles de 1933 et 1944. Le contrôle et la surveillance du PCC deviennent de plus en plus durs pour atteindre son paroxysme sous le mandat de Xi Jinping qui met en place un système de surveillance totale avec caméras à reconnaissance faciale, contrôle des smartphones, fichiers ADN et postes de police de quartier.
Mais le pire du pire est la création de « camps de rééducation » à partir de 2017. Il s’agit de centres d’internement extrajudiciaires, appelés « camps de formation professionnelle ». Selon l’ONU et des chercheurs indépendants, ils seraient au nombre d’une centaine et entre 800,000 et 1.5 million de personnes seraient actuellement détenues. Officiellement, Pékin affirme mener une politique anti-terroriste, lutter contre l’extrémisme et ouvrir des camps de formation professionnelle. Mais l’ONU et beaucoup d’Etats condamnent la RPC et qualifie cette politique de crime contre l’humanité, voire de génocide.
Dans son documentaire Chine : Ouïghours, un peuple en danger, Antoine Védeilhé, Angélique Forget (2019), Arte diffuse des vidéos de ces camps et des témoignages de femmes rescapées, sommairement arrêtées pour avoir été en Turquie, porté un foulard ou pour posséder des photos de prières dans leurs téléphones. Elles y décrivent des journées dans des cellules minuscules, entrecoupées de sessions de chants forcés “Je suis chinoise, je suis fière de la Chine” et de piqures obligatoires abrutissantes, leur faisant oublier leur passé et arrêtant leurs règles. Probablement des injections de liquide stérilisant…
Hong Kong, la fin de l’indépendance
Avant l’arrivée des Britanniques, l’île de Hong Kong faisait partie de la Chine impériale et était principalement habitée par des pêcheurs et des agriculteurs. Après la première guerre de l’opium entre les Chinois et les britanniques (cf article n°1 sur l’ère impériale), la Chine est contrainte de céder Hong Kong aux anglais par le traité de Nankin en 1842. Hong Kong devient alors un centre commercial stratégique et attire de nombreux immigrants chinois ainsi que des investissements étrangers.
Mao Zedong, qui n’est pourtant pas du genre gentillet, ne remet pas en question la colonie britannique. Il n’est pas assez puissant pour tenter une confrontation avec les anglais, il doit prioriser la consolidation de son propre pouvoir en Chine continentale.
Deng Xiaoping négocie avec Margaret Thatcher la rétrocession de Hong Kong en 1984 qui aura concrètement lieu en 1997. Sont alors actés la réintégration de Hong Kong à l’empire chinois et le principe « un pays, deux systèmes », qui lui donne un statut de Région Administrative Spéciale (RAS), à ne pas confondre avec le statut des Régions Autonomes décrit plus haut.
En quoi ça consiste ?
- Un système juridique propre protégé par l’État de Droit qui garantit l’égalité des citoyens devant la loi et son indépendance vis-à-vis des autres institutions. Ce qui n’est évidement pas le cas en Chine.
- Un système économique libéral et capitaliste, contrairement à la Chine qui, bien que réformée, a une économie fortement contrôlée par l’État.
- Une monnaie distincte, le dollar de Hong Kong, pleinement convertible sur le marché des devises.
- Un passeport propre donnant accès à tous les pays du monde.
- Un système politique à peu près démocratique ou du moins qui était censé le devenir : (1) Le Chef de l’exécutif est élu par un Comité électoral de 1500 membres. Le texte prévoyait des élections au suffrage universel à terme. (2) Le pouvoir législatif qui vote les lois et contrôle l’exécutif, lui, est exercé par le Conseil législatif (LegCo) qui compte 90 membres, à l’époque 35 élus au suffrage universel. Les autres sont directement nommés par des groupes professionnels. (3) Les conseillers de district (chargés des affaires locales) sont élus directement.
Ça fonctionne plutôt bien jusqu’à l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013. Toujours avec son ambition de réunir la grande nation chinoise, il veut reprendre le pouvoir à Hong Kong et en faire une ville similaire aux autres. Et puis, avoir si près un système démocratique chinois qui fonctionne économiquement n’arrange pas sa propagande et donne un mauvais exemple. Finalement, même si Hong Kong ne représente maintenant plus que 3% du PIB chinois, ce qui lui laisse moins de pouvoir de négociation d’ailleurs (17% en 1997), elle reste une place financière internationale qui permet aux entreprises chinoises d’attirer des capitaux étrangers. C’est aussi la bourse que choisissent majoritairement celles-ci pour être introduites. Il ne faudrait donc pas perdre le contrôle de cette manne économique ! Il stoppe donc les espoirs des Hong Kongais de se diriger vers un système plus démocratique (alors que c’était pourtant ce qui était prévu !).
En 2019, il commence un projet de loi d’extradition vers la Chine, provoquant alors des émeutes très violentes. En réponse, Pékin impose en 2020 une loi sur la sécurité nationale. Le texte criminalise les actes considérés comme séparatistes, subversifs ou terroristes, ce qui justifie des arrestations massives de militants et la répression des médias indépendants.
Xi Jinping ne s’arrête pas là…En 2021, Pékin modifie les règles électorales pour garantir que “seuls les patriotes gouvernent Hong Kong” :
- Un comité filtre désormais tous les candidats au poste de Chef de l’exécutif pour s’assurer que le pouvoir soit exercé par un ami du PCC.
- Le nombre de membres élus au suffrage universel du Conseil législatif (LegCo) est réduit de 35 à 20 (sur 90). Les autres sont nommés et doivent être pro-Pékin.
- En 2023, une réforme remplace les élus locaux par des nominations de partisans de Pékin.
En résumé, Xi Jinping a réussi à modifier les quelques éléments du texte de 1997 qui donnaient du pouvoir aux Hong Kongais pour en faire petit à petit une ville identique aux autres, complètement contrôlée par le Parti. Les opposants pro-démocratiques sont désormais traqués et réprimés, même ceux qui ont pu se réfugier dans des pays occidentaux, tels que la Grande-Bretagne où a été créé un visa spécial pour les Hong Kongais. Ces personnes, même à l’étranger, sont toujours pourchassées par le régime chinois et leur tête est mise à prix !
Taïwan, le suspens à son comble
Le Tibet, Hong Kong, le Xinjiang, nul besoin de le répéter encore et encore, Xi Jinping veut absolument assurer l’unité nationale et selon lui, Taïwan en fait partie. Appliquant parfaitement les principes de L’art de la guerre (cf l’article n°1 sur les héritages de l’ère impériale), le PCC mène une véritable guerre psychologique pour parvenir à une réunification “pacifique” avec Taïwan, allié historique des États-Unis. Chaque année, Xi Jinping accentue la pression avec des exercices militaires et la République de Chine (Taïwan) tente tant bien que mal de se défendre avec des alliances. Mais celles-ci semblent parfois remises en question, notamment depuis l’élection de Donald Trump.
Comment en est-on arrivé à cette situation épineuse ?
1. Jusqu’en 1683, l’île est indépendante de la Chine continentale
Reprenons depuis le début. Jusqu’en 1624, Taïwan est une île autonome peuplée d’autochtones austronésiens, sans pouvoir central, avec des contacts extérieurs marginaux, non officiellement colonisée par les empires japonais et chinois voisins.
En 1624, les Néerlandais colonisent le sud de l’île, dans un contexte de course à la colonisation des puissances européennes en Asie. Les espagnols tentent également de conquérir l’île par le nord, depuis leur colonie aux Philippines, mais ils sont chassés par les hollandais après quelques années de présence. Beaucoup de monde convoite déjà ce petit territoire. Entre le Japon, la Chine et l’Asie du Sud-Est, sa localisation en fait une position géostratégique et permet un contrôle des routes maritimes en mer de Chine orientale et méridionale.
En 1644, la dynastie Mandchoue Qing renverse les Ming sur le continent. Koxinga (Zheng Chenggong), un loyaliste Ming, chasse en 1661 les Néerlandais de l’île de Taïwan, y établit une base anti-Qing et fonde le royaume de Tungning : c’est la première vague de migration de Chinois sur l’île.
2. Intégration à l’Empire Qing en 1683 et occupation japonaise.
Les Qing renversent ce royaume en 1683 et intègrent l’île à l’Empire Qing. De nouveau, beaucoup de Chinois migrent vers l’île dans l’espoir d’une vie meilleure.
En 1895, les japonais s’en mêlent. En pleine restauration Meiji (cf l’article n° 3 sur l’occupation japonaise), le Japon est devenu une puissance militaire industrialisée et développe des ambitions expansionnistes. En 1894, la Première guerre sino-japonaise éclate : les deux puissances se disputent la Corée, historiquement tributaire de la Chine mais convoitée par le Japon. La dynastie Qing, affaiblie par les guerres de l’opium et les rebellions internes, perd et cède Taïwan au Japon qui l’occupera pendant 50 ans. Ceci explique l’empreinte de la culture japonaise à Taïwan, en particulier dans la gastronomie.
3.Seconde Guerre Mondiale et guerre civile.
En 1943, en pleine Seconde Guerre Mondiale, Tchang Kaï Shek, Franklin Roosevelt et Winston Churchill tiennent la Conférence du Caire et prévoient qu’en cas de défaite du Japon, Taïwan serait rétrocédé à la “Chine”. Sauf qu’à l’époque, la République de Chine et la Chine Continentale, c’est la même chose : Tchang Kaï Shek est officiellement au pouvoir sur le continent. Donc aujourd’hui la République Populaire de Chine et la République de Chine (Taïwan) s’appuient sur ce texte pour dire “on parlait de nous”. Les États-Unis avancent eux qu’il ne s’agit de toute façon pas d’un document juridiquement contraignant : c’est un communiqué politique, pas un traité.
En 1945, le Japon est vaincu et la charte des Nations Unies désigne l’URSS, la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et la République de Chine (de Tchang Kaï Shek, toujours au pouvoir en Chine continentale) comme membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU. Jusqu’ici tout va bien pour la République de Chine et Tchang Kaï Shek qui sont reconnus par la communauté internationale. Comme prévu en 1943, la République de Chine récupère Taïwan, les troupes nationalistes débarquent sur l’île, établissent une base militaire, écartent les Taïwanais de l’administration et s’emparent des richesses. La guerre civile en Chine contre les communistes s’apprête à reprendre.
Et c’est là que tout commence à devenir plus compliqué…Tchang Kaï-Shek perd la guerre civile en 1949 se réfugie à Taiwan avec deux millions de partisans, et Mao proclame la République Populaire de Chine sur le continent.
4.La Terreur Blanche à Taïwan
L’autoritarisme de Mao a été terrible en RPC mais son homologue Tchang Kaï-Shek n’a, de son côté, pas créé un jardin d’Eden à Taïwan. Il instaure dès 1949 une dictature militaire dirigée par le Kuomintang. Il exclut les Taïwanais (habitants plus anciens d’origine chinoise et aborigènes) en se reposant sur la loi martiale. Celle-ci est justifiée par l’argument selon lequel ce repli sur Taïwan est temporaire. La guerre n’est pas terminée pour Tchang, les nationalistes vont, selon lui, finir par reprendre tout le territoire Chinois.
Cette période est appelée la “Terreur blanche” (1949-1987). Assassinats politiques, arrestations, torture, c’est une épreuve de plus pour les plus anciens taïwanais d’origine chinoise et les aborigènes qui ont déjà subi la colonisation européenne, la colonisation des dynasties Ming et Qing et la colonisation japonaise. Aujourd’hui, les violences commises pendant cette période commencent à peine à être réexaminées par les historiens.
5.Le retournement des États-Unis change tout en 1971
Revenons-en au conflit. En 1951, le traité de San Francisco entérine officiellement la défaite du Japon lors de la Seconde Guerre mondiale. Le Japon renonce à l’île de Taïwan, mais ne précise pas à quel État l’île est censée revenir. Depuis 1945, la situation a changé : Mao a vaincu Tchang Kaï Shek trois ans plus tôt. Les États-Unis soutiennent la République De Chine (Taïwan) qui vise encore la reconquête de la Chine continentale. Pendant 20 ans, la situation reste étrange : Tchang Kaï-Shek représente la Chine à l’ONU alors que Mao gouverne en Chine Continentale.
En 1971, les États-Unis se rapprochent de la République Populaire de Chine de Mao (j’en explique les raisons dans l’article n°9 sur les relations sino-américaines) et l’introduit à l’ONU à la place de la République de Chine (Taïwan). C’est plutôt brutal :
La Résolution 2758 de l'Assemblée générale des Nations unies de 1971 “Cette résolution décide le rétablissement de la République populaire de Chine dans tous ses droits et la reconnaissance des représentants de son gouvernement comme les seuls représentants légitimes de la Chine à l'Organisation des Nations unies, ainsi que l'expulsion immédiate des représentants de Tchang Kaï-chek du siège qu'ils occupent illégalement à l'Organisation des Nations unies et dans tous les organismes qui s'y rattachent.”
Avant cette résolution, Tchang Kaï-Shek était considéré comme représentant de la “Chine”, pas de “Taïwan”. Les deux Républiques se présentent d’ailleurs comme l’unique Chine. Ceci explique que l’introduction de la République Populaire de Chine à l’ONU en 1971 n’est pas une addition mais un remplacement.
La République de Chine (Taïwan) n’a donc plus aucun statut officiel. Elle n’est pas reconnue comme un État membre ni comme un observateur par l’ONU qui la considère, encore aujourd’hui, comme faisant partie de la Chine. Cette situation est quasiment unique au monde car Taïwan est un État de facto puisqu’il coche les quatre critères appliqués en droit international. La RdC, en effet « est peuplée en permanence, contrôle un territoire défini, est dotée d’un gouvernement, et est apte à entrer en relation avec les autres États ».
Ce n’est pas tout ! Non seulement Tchang Kai-Shek s’est fait virer de l’ONU, mais aussi du Conseil de Sécurité. La République Populaire de Chine de Mao est désormais considérée comme vainqueur de la Seconde Guerre Mondiale. Elle devient donc membre permanent au Conseil de Sécurité et dispose ainsi d’un droit de veto lui permettant de bloquer toutes les tentatives taïwanaises de reconnaissance par l’ONU.
En 1979, les États-Unis reconnaissent officiellement la République Populaire de Chine (de Mao). Ils institutionnalisent les relations diplomatiques avec le Grand Timonier - l’ambassade américaine est transférée de Taipei à Pékin - et ils encouragent les deux parties à régler leurs conflits pacifiquement. Mais les États-Unis se sentent tout de même un peu coupables vis-à-vis de Taïwan. Et puis, abandonner un allié proche anti-communiste aussi bien situé en pleine guerre froide les inquiètent. Ils signent alors le Taiwan Relation Act. Ce traité reste très très important aujourd’hui car il encadre les relations entre les États-Unis et Taïwan. Il permet d’abord aux États-Unis de continuer à coopérer avec Taïwan dans les domaines économique, culturel et sécuritaire par l’intermédiaire d’un organisme non officiel, l’American Institute in Taiwan. Le texte stipule aussi que les États-Unis fourniront à Taïwan les moyens de se défendre, notamment par la vente d’armes à caractère défensif. Il affirme en outre que toute tentative de résoudre la question de Taïwan par la force - en particulier de la part de Pékin - serait considérée comme une menace grave à la paix dans la région et comme une préoccupation majeure pour Washington. Cette loi ne constitue pas une garantie automatique d’intervention militaire, ni une reconnaissance de Taïwan comme État souverain, elle traduit à l’époque plutôt une volonté d’assurer la stabilité dans le détroit, de soutenir la démocratie taïwanaise et d'encourager une solution pacifique au différend entre la Chine et Taïwan. C’est la stratégie de l’ambiguïté. Le Taiwan Relation Act fait toujours foi aujourd’hui, et Joe Biden s’y est notamment référé à plusieurs reprises pour réaffirmer que les États-Unis défendraient Taïwan en cas d’attaque.
6.Démocratisation de Taïwan
La situation interne à Taïwan n’évolue qu’en 1986 : le Parti Démocrate Progressiste (PDP) est créé - actant ainsi un nouveau multipartisme -, la loi martiale est levée en 1987 et le Kuomintang cesse de prétendre qu’il va envahir la Chine Continentale.
Un processus de démocratisation commence, Lee Teng-hui (KMT), premier président d’origine taïwanaise devient président et en 1996, les premières élections présidentielles au suffrage universel direct sont organisées.
Depuis 2000, le pouvoir est tantôt exercé par deux partis :
→ Le Kuomintang (KMT) héritier de Tchang Kaï-Sheck, au pouvoir pendant la “Terreur Blanche” puis élu démocratiquement en 2008 et 2012.
Il défend le maintien du statu quo actuel : Taïwan reste un État de facto indépendant, sans déclarer formellement son indépendance pour éviter une intervention militaire de la RPC. Il privilégie une relation pacifique et économique avec Pékin, par des accords commerciaux, des échanges culturels et touristiques et une volonté d’éviter tout conflit armé.
→ Le Parti démocrate progressiste (PDP) - élu en 2000, 2004, 2016, 2020 et 2024. Il considère que Taïwan est un État indépendant et souverain. Il milite par exemple pour que Taïwan soit reconnu par l’ONU ou que le pays soit renommé “République de Taïwan” à la place de “République de Chine”.
Évidemment, le Parti Communiste Chinois est plutôt pro KMT que PDP.
7.La Chine a des moyens de pression
En 2005, alors que le PDP a été élu pour la seconde fois l’année précédente, la Chine (RPC) officialise son ambition de contrôler Taïwan. Elle promulgue la loi anti-sécession qui réaffirme qu’il “n’existe qu’une seule Chine dans le monde” et promet qu’“après la réunification pacifique du pays, Taïwan pourra pratiquer des systèmes différents de ceux appliqués dans la partie continentale de la Chine et jouira d'une haute autonomie”. Surement comme le Tibet et le Xinjiang, c’est vrai que ça donne envie…Mais en cas de tentative de “séparatisme”, la RPC assure qu’elle “aura alors recours aux moyens non-pacifiques et autres moyens nécessaires pour protéger la souveraineté nationale et l'intégrité territoriale”. En résumé, si vous déclarez l’indépendance, on vous attaque.
La RPC fonde la légitimité de cette loi sur le fait que la plupart des États du monde - y compris l’ONU - reconnaissent le principe d’une seule Chine. Mais la Chine exige la reconnaissance de ce principe comme pré-requis à l’ouverture de toute relation diplomatique, c’est le serpent qui se mord la queue. Comme la Chine s'impose depuis 2001 comme “l'atelier du monde”, la plupart des nations - et l’ONU - choisissent de ne pas compromettre leurs relations diplomatiques avec la République Populaire de Chine, même au détriment de l’indépendance de Taïwan.
C’est à cause de ce vide juridique d’un point de vue international que la situation est celle qu’on connait aujourd’hui. La République de Chine (Taïwan) existe de facto mais ne peut pas devenir membre de l’ONU à cause du veto de la République Populaire de Chine qui, elle, a une juridiction claire et des moyens de pression très forts.
Trump facilite la vie de la République Populaire de Chine
Aujourd’hui, la Chine mène une véritable guerre psychologique contre Taïwan et continue d’affirmer que l’île est une province chinoise. La situation est d’autant plus tendue depuis les dernières élections en janvier 2024 et l’élection de Trump en novembre 2024.
Pourquoi la République Populaire de Chine déploie tant de ressources pour contrôler Taiwan ?
- On l’a suffisamment expliqué précédemment, c’est d’abord une question de principe : Taïwan a toujours été chinoise et peuplée majoritairement de Hans, il n’y a pas de raison que l’île ne fasse pas partie de la Grande Nation Chinoise.
- Pour la Chine, Taïwan représente aussi une importance géographique : la Corée du Sud, le Japon et les Philippines sont alliés des États-Unis et les américains possèdent des bases ou des flottes militaires dans la zone.
- Finalement, la Chine est toujours en retard sur les semi-conducteurs alors que Taïwan détient le monopole mondiale de la fabrication de puces électroniques de pointe (cf l’infographie Comprendre les semi-conducteurs).
Cet argument est largement contesté par les partisans pro-indépendance, et à raison : Taïwan n’a été rattachée à la Chine Continentale que sous la dynastie Qing (Mandchoue, discriminant à l’égard des Chinois et renversée grâce à des arguments anti-étrangers) et n’a jamais été intégrée à la République Populaire de Chine. Mao n’a par exemple jamais gouverné sur Taïwan. Le terme “réunification” est donc tout à fait inadéquat. En réalité, il s’agirait plutôt d’une unification par la force.
Quelles sont les méthodes de la Chine pour intimider Taiwan ?
On se souvient, Pékin dit vouloir une réunification “pacifique”, ce qui pour les dirigeants chinois rime avec intimidation, propagande et pression économique et politique.
La Chine exerce d’abord une pression militaire : elle multiplie depuis plusieurs années des infractions à la ligne médiane dans le détroit et déploie des aéronefs , des navires de guerre et des avions de chasse tout autour de l’île. En avril 2025, la Chine a d’ailleurs fait un exercice de débarquement de ses forces armées impliquant l’usage de barges de grande taille, manoeuvre simulant un blocus.
Elle mène également une guerre de l’information très agressive en déployant des méthodes de désinformation et de propagande via les médias pro-chinois et les réseaux sociaux. Elle finance des universités et des think tanks taïwanais pour promouvoir des positions pro-chinoises. Une vidéo devenue célèbre représente par exemple le nouveau président pro-indépendance avec un corps d’insecte, le comparant ainsi à un parasite.
L’influence est également politique : le PCC finance des partis ou personnalités politiques favorables à un rapprochement avec Pékin. La Parti Communiste Chinois est même suspecté d’utiliser les triades, la mafia chinoise et taïwanaise pour arriver à ses fins. Un exemple connu est celui de Chang An-lo, surnommé “Loup Blanc”. Ancien dirigeant de la célèbre triade des Bamboo Uni, Chang An-lo a ensuite créé le Parti pour la Promotion de l’Unification Chinoise (China Unification Promotion Party) défendant la réunification de la Chine. Ce Parti est accusé d’user de ses liens avec la mafia pour intimider les personnalités politiques pro-indépendance et de recevoir des financements du Parti Communiste Chinois.
Sur le plan économique, on l’a vu, la Chine fait pression sur ses partenaires commerciaux à l’international sous peine de mettre un terme aux accords. Elle se permet également pousser les entreprises taïwanaises à soutenir la réunification, sous peine de sanctions économiques.
La tension autour des dernières élections taïwanaises en janvier 2024
L’élection présidentielle à Taïwan s’est tenue le 13 janvier 2024 et a été remportée par Lai Ching-te, candidat du Parti démocrate progressiste (DPP), avec 40,1 % des voix. En réaction, la Chine n’a pas manqué de rappeler que Taïwan sera “sévèrement puni” en cas de déclaration d’indépendance. Lors de sa campagne (alors qu’il était vice-président), Lai Ching-te a rejeté le plan de paix avec la Chine, et a dénoncé la répression continue du Tibet et de Hong Kong sous la domination chinoise :
« Si les accords de paix (avec la Chine) étaient efficaces, le Tibet ne serait pas si misérable. Une paix sans souveraineté est une fausse paix. Si une paix sans souveraineté pouvait conduire à la paix, Hong Kong et Macao ne seraient pas si misérables » », Lai. Tsering Dhundup. Un candidat à la présidence de Taïwan rejette le plan de paix avec la Chine et évoque la misère du Tibet. (2023). Phayul (agence de presse tibétaine).
Lai Ching-te est très ferme avec la République Populaire de Chine lors de son discours d’investiture et la réaction de celle-ci ne se fait pas attendre : elle encercle Taïwan trois jours plus tard en guise de punition.
«Chaque fois que [le mouvement soutenant l'] “indépendance de Taïwan” nous provoquera, nous irons un peu plus loin avec nos contre-mesures, jusqu'à ce que la réunification complète de la mère patrie soit réalisée» Wu Qian, porte-parole du ministère chinois à ce moment-là. Le Figaro. Mai 2024. La Chine accuse le président Lai de pousser Taïwan vers «la guerre».
Les résultats de ces dernières élections laissent donc présager des tensions de plus en plus vives.
Trump 2025
Biden réaffirmait le respect du Taïwan Relation Act, comme en témoignent la visite de Nancy Pelosi, n°3 du gouvernement américain, à Taipei en 2022 et la vente d’armes à la République de Chine (Taïwan). Donald Trump, lui, est beaucoup plus flou et adopte une logique transactionnelle. D’abord, il accuse Taïwan de dominer le marché des puces électroniques avec TSMC et maintient des droits de douane pour l’île alors que la République de Chine s’est récemment engagée à investir 100 milliards de dollars aux États-Unis. Ensuite, il annonce vouloir annexer le Canada et le Groenland, ce qui le rend complètement illégitime à donner des leçons en cas d’une annexion de l’île. L’élection de Donald Trump semble donc arranger les affaires de Xi Jinping.
Il faut toutefois prendre les sorties de Trump avec des pincettes. Pete Hegseth, secrétaire à la Défense des États-Unis, a multiplié les déclarations fortes concernant Taïwan et a réaffirmé que les États-Unis interviendraient militairement pour empêcher une invasion chinoise, soulignant que la politique américaine repose sur une "dissuasion robuste, prête et crédible". Il a aussi insisté sur le fait que les États-Unis ne cherchent pas à dominer la Chine, mais ne laisseront pas leurs alliés être intimidés. Impossible de prédire l’avenir donc, mais une chose est sûre, le suspens est à son comble !
Xi Jinping se montre donc déterminé à asseoir son pouvoir sur la Grande Nation Chinoise. Au vu des derniers événements, les sorts de Hong Kong, du Xinjiang et du Tibet paraissent scellés mais la situation à Taïwan reste incertaine du fait du manque de clarté de la position du nouveau président Donald Trump. Une question perdure, si la conjoncture internationale ne parait pas être propice aux revendications des minorités et des régions autonomes, une révolution est-elle possible ? Les Chinois finiront peut-être par se révolter et défendre leurs co-citoyens ? Réponse dans l’article n°10 sur l’opinion des chinois !
Les points à retenir
- Le Tibet, la Mongolie Intérieure, le Xinjiang, le Guangxi et le Ningxia ont le statut de Régions autonomes et sont supposés bénéficier de droits spéciaux selon la Constitution. Mais ce statut n'est qu'une façade : ces régions sont victimes de répression et d'assimilation forcée.
- La situation la plus terrible reste celle du Xinjiang où des camps de "rééducation" ont été créés depuis 2017 pour l'ethnie Ouïghoure. L'ONU et de nombreux États qualifient cette politique de crime contre l’humanité, voire de génocide.
- Hong Kong (tout comme Macao), a, elle, le statut de Région Administrative Spéciale (RAS) depuis la rétrocession de l'île par les anglais en 1997. L'accord stipulait une indépendance juridique et prévoyait une évolution vers un système complètement démocratique. Mais depuis 2019, Xi Jinping modifie les textes et les lois, pour en faire une ville contrôlée par le Parti.
- L'histoire de Taïwan explique la situation extrêmement tendue. Le rapprochement sino-américain de 1971 mène à l'exclusion de la République de Chine (Taïwan) à l'ONU. En contrepartie, les États-Unis signent en 1979 le Taïwan Relations Act qui énonce qu'ils protègeront Taïwan en cas d'attaque. Depuis, la République de Chine (Taïwan) est un état de facto : elle coche tous les critères d'existence selon le droit international mais n'est pas reconnue par l'ONU et seulement par 12 États.
- La République Populaire de Chine (celle de Xi) estime que Taïwan fait partie de la Chine et mène une guerre psychologique. En janvier 2024, les Taïwanais ont élu un Président du Parti progressiste pro-indépendance, ce qui exacerbe les tensions.
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