221 av. J. -C. - 1911
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Le prestige de l’ère impériale est très utilisé par Xi Jinping, le président de la République Populaire de Chine depuis 2013, pour attiser le nationalisme des Chinois et les convaincre de la supériorité de leur culture. À l’inverse, le siècle de l’humiliation et les guerres de l’opium contre les Américains, les Anglais et les Français leur laissent un goût amer et un esprit de revanche, exacerbés par les discours “anti-occident” de Xi. Comprendre la Chine impériale est donc clé pour comprendre comment le PCC et son président justifient leurs actions actuelles.
Au programme
Des mythes au service de la propagande communiste actuelle
Premier empire (221 à 206 av. J. -C.)
L’art de la guerre (Sunzi Bingfa, 孙子兵法) : gagner sans combattre
Le Mandat du Ciel, fondement de la culture chinoise
Les Mongols entrent dans la danse, la dynastie Yuan (1271-1368)
L’âge d’or de la dynastie Ming (1368-1644)
La fin de deux mille ans d’empire sous les Qing et les guerres de l’opium (1644-1912)
Des mythes au service de la propagande communiste actuelle
Quelle est la date de naissance de la grande civilisation chinoise ? Xi Jinping et les historiens sont en désaccord. Pour justifier la position forte de la Chine sur la scène internationale et convaincre les Chinois de la supériorité de leur culture, Xi Jinping soutient que la civilisation chinoise est la plus vieille du monde, forte de ses « cinq mille ans continus ».
Il oublie d’abord que la culture chinoise a connu une pause pendant la Révolution culturelle de Mao (1966 à 1976). Mais surtout, il s’appuie sur la figure légendaire et semi-mythique de l’Empereur Jaune, qui aurait vécu entre 2698 et 2598 av. J. -C. Celui-ci est considéré comme l’un des fondateurs de la civilisation Chinoise, ancêtre de tous les Hans (ethnie majoritaire en Chine), inventeur de l’agriculture, de la roue, des bateaux, des premiers caractères chinois et de la médecine. Mais son existence est loin d’être prouvée. Commençons donc un peu plus tard par les faits certifiés par des historiens.
Premier empire
Le début de la Chine en tant que pays uni remonte à 220 av. J. -C. lorsque Qin Shi Huang parvient à unir les royaumes en guerre, appelés les Royaumes combattants. Il instaure alors la première dynastie, la dynastie Qin, qui durera seulement quinze ans.
Même courte, cette dynastie a le mérite d’avoir unifié le pays. Elle donne au pays le nom “Chine”, Qin se prononçant « Tsin », et l’Empereur ordonne le début de la construction de la Grande Muraille pour se protéger des peuples du Nord.
Le légisme, une école de pensée politique et philosophique qui valorise l’autorité de l’État et des lois très dures, est appliqué. Pour ne citer qu’un exemple : voler une chèvre est passible de peine de mort. Sans aller jusqu’à de telles extrémités, Xi Jinping s’inspire aujourd’hui des préceptes de cette philosophie, tels que des lois et des punitions très strictes et un contrôle total du système judiciaire. J’y reviens dans l’article sur l’idéologie de Xi Jinping.
La célèbre Armée de terre cuite, l’un des plus grands sites archéologiques du monde, date également de cette époque. Il s’agit d’une gigantesque collection enterrée composée de 8 000 statues de soldats - chacune étant unique en taille, visage et posture -, de 670 chevaux et de 130 chars construite par 700 000 travailleurs pour constituer le tombeau de l’Empereur Qin et lui permettre d’arriver en grande pompe dans l’au-delà.
L’Art de la guerre (Sunzi Bingfa, 孙子兵法) : gagner sans combattre
Une petite digression vis-à-vis de la chronologie s’impose. De nombreuses décisions politiques, économiques et militaires de dirigeants Chinois seront influencées par un texte, connu en français sous le nom L’Art de la guerre, qu’il est important de comprendre.
Ce traité militaire attribué à Sun Tzu, un stratège militaire ayant probablement vécu au VIème siècle av J. -C., a influencé non seulement les empereurs mais aussi Napoléon et Mao Zedong. Il est même encore étudié dans les écoles militaires et les milieux d’affaires.
Il permet aussi et surtout de comprendre la diplomatie et les stratégies économiques chinoises contemporaines. Comment la Chine compte-t-elle conquérir Taiwan ? Quelle est la stratégie pour pénétrer le marché du photovoltaïque en Europe ? Oui oui, un texte de plus de 2500 ans donne des éléments de réponse !
Depuis l’Antiquité, à l’époque des cités grecques, le style de guerre des européens est très simple : on se met dans un champ, en ligne face à face et on se bat. La guerre est frontale, rapide, sanglante et les héros sont glorifiés : plus la bataille est difficile, violente, plus le prestige est grand. Il en va de même pour la démocratie : les débats autour d’un sujet se mènent publiquement dans l’hémicycle, on vote pour ou contre, quelqu’un gagne et on n’en parle plus.
Les méthodes prônées par L’Art de la guerre sont très différentes. L’affrontement se doit d’être indirect et n’a lieu que s’il est sûr d’être gagné. Tout se joue en amont par la ruse et la guerre psychologique. Loin des batailles rapides européennes, la guerre est plutôt vue comme une “transformation, silencieuse patiente, d’une situation qu’il s’agit d’infléchir, à l’ombre des regards, en ma faveur.” (Jullien, François. La stratégie chinoise de l’oblique. Philosophie Magasine. Hors série n°64, L’art de la guerre. Mars 2025). La clef réside dans l’examen de ses propres atouts et limites, de ceux de l’ennemi, du terrain et de toutes les potentialités qui en découlent. Le chef de guerre européen planifie la bataille et espère qu’il n’y ait pas trop d’imprévus, le stratège chinois utilise les circonstances, analyse le champ des possibles, s’en sert pour infléchir la situation en sa faveur en développant ses points forts et en réduisant ceux de l’adversaire. Et il livre bataille quand celle-ci est déjà gagnée. Les héros sont inutiles, un seul homme ne peut pas changer le cours de la guerre, c’est toute la situation qui mène à la victoire. C’est plus long certes, mais il y a moins de pertes.
“L’héroïsme, le dépassement de soi, le courage ne sont pas du tout au centre de l’art de la guerre chinois. Ce sont des notions très liées à la dramatisation européenne du combat […] Rappelons que la Chine est la seule civilisation sans épopée. Ça ne les intéresse pas ! L’épopée, c’est de l’héroïsme pour rien, beaucoup de bruits pour peu d’effets. La Chine cherche l’inverse : peu d’efforts, beaucoup d’effets.” Jullien, François. La stratégie chinoise de l’oblique. Philosophie Magasine. Hors série n°64, L’art de la guerre. Mars 2025.
Le prestige des grandes dynasties
🌍 En Europe pendant ce temps
-100 à -44 av JC : vie de Jules César
-69 à -30 av JC : vie de Cléopâtre
1er et 2ème siècle : apogée de l’Empire Romain
La dynastie Han (206 av J. -C - 220 ap. J. -C.) succède à la dynastie Qin et restera l’une des plus formidables de l’histoire chinoise.
Les Han consolident les fondements de l’État impérial : centralisation du pouvoir, établissement d’un système bureaucratique efficace, mise en place des examens impériaux et renforcement de la stature de l’Empereur comme Fils du Ciel.
Ils étendent le territoire de l’Empire et ouvrent les premières Routes de la Soie reliant l’Asie centrale et l’Europe. Ils sont les premiers à interagir et échanger avec l’Occident, à cette époque, avec l’Empire romain. Ces routes sont une source d’enrichissement considérable grâce au commerce de la soie, des produits artisanaux et agricoles.
Le confucianisme devient la philosophie officielle, la littérature et l’art (sculpture, céramique, peinture) prospèrent et cette période connait des avancées techniques majeures, telles que l’invention du papier et de la boussole.
Après la chute des Han, la Chine entre dans une longue phase d’instabilité, appelée la période des Trois Royaumes (220-280), puis celle des Six dynasties (jusqu’à 581). L’unification est rétablie avec les dynasties Sui (581-618), puis Tang (618-907), puis Song (960-1279).
Arrêtons-nous sur la dynastie des Tang (618-907) qui marque l’une des périodes les plus fastes de l’histoire chinoise. L’Empire des Tang devient un carrefour des civilisations, intensifiant les échanges internationaux le long de la Route de la soie, où circulent soie, thé, porcelaine, mais aussi idées et religions. Des relations diplomatiques sont établies avec des puissances lointaines telles que l’Inde, l’Empire sassanide (Iran) et même l’Empire byzantin, illustrant l’ouverture remarquable de la Chine à cette époque. C’est également l’âge d’or du bouddhisme et de la poésie chinoise.
Deux éléments majeurs de cette période méritent une attention particulière, car ils permettent de mieux comprendre certains fondements de la Chine contemporaine :
- L’émergence des “protectorats militaires” marque l’apparition d’une vision sino-centrée du monde. À cette époque, la Chine, forte de sa religion, de ses arts et de sa puissance militaire, se perçoit, et est perçue par son peuple, comme le cœur du monde civilisé, une force stabilisatrice investie d’un rôle protecteur envers les régions tributaires qui l’entourent. Les dynasties chinoises privilégient un mode de domination fondé sur l’influence plutôt que sur la conquête : on n’annexe pas, on subordonne, l’intégration se fait sans recours à la violence, par l’exercice d’un pouvoir d’attraction combinant diplomatie, économie et prestige culturel. Cette stratégie de « puissance douce » trouve un écho contemporain dans la politique étrangère de Xi Jinping, notamment en Afrique et en Asie du Sud-Est. Aujourd’hui encore, la Chine conserve cette vision sino-centrée héritée de son passé impérial, une vision que Xi Jinping exploite habilement dans ses discours pour nourrir le sentiment de fierté nationale.
- C’est aussi le début des examens impériaux. Ils représentent un pilier fondamental de la culture administrative chinoise. Ce système de recrutement méritocratique, mis en place pour sélectionner les fonctionnaires - appelés mandarins - repose sur la réussite à des concours d'une extrême difficulté. Ceux-ci évaluent la maîtrise des classiques confucéens, la calligraphie, la poésie, ainsi que l’aptitude à disserter sur des questions morales et politiques. Aujourd’hui, ce système est fréquemment cité comme l’ancêtre des concours de la fonction publique moderne et constitue une référence majeure dans l’idéal méritocratique revendiqué par le gouvernement chinois. Xi Jinping en fait d’ailleurs un usage politique : il s’appuie sur cet héritage pour légitimer un mode de gouvernance autoritaire fondé sur la compétence plutôt que sur le suffrage universel. Le message implicite qu’il promeut est clair : vaut-il mieux être dirigé par des responsables ayant fait leurs preuves à travers des concours rigoureux et une longue expérience administrative, ou par des figures médiatiques dont la fortune et l’éloquence suffisent à ouvrir les portes du pouvoir, comme cela peut arriver dans certaines démocraties occidentales ? (Un sous-entendu à peine voilé à l’encontre de dirigeants tels que Donald Trump.)
🌍 En Europe pendant ce temps
476 : Chute de l’Empire Romain d’Occident, début du Moyen Âge
VIème siècle : Apogée de l’Empire Byzantin, l’Empire Romain d’Orient, dont la capitale est Constantinople
800 : Charlemagne devient roi des francs et empereur d’Occident
Le Mandat du Ciel, fondement de la culture chinoise
Le Mandat du Ciel (天命, Tiānmìng) est un concept politique et philosophique chinois, servant de fondement à la légitimation du pouvoir impérial. Il repose sur l’idée que le Ciel - force cosmique suprême - confère à un souverain le droit de gouverner à condition qu’il agisse avec vertu, justice et bienveillance.
Si un empereur est tyrannique, corrompu ou néglige ses devoirs envers son peuple, il perd ce mandat. Le Ciel manifeste sa désapprobation par des catastrophes naturelles, des famines ou des révoltes, justifiant le renversement de la dynastie en place. Ce mandat, qui s’apparente à un concept religieux, s’accorde bien avec les trois sagesses chinoises - Confucianisme, Taoïsme et Bouddhisme, détaillées dans l’article n°2 sur les sagesses chinoises - ce qui explique qu’il a structuré le pouvoir des dynasties chinoises si longtemps, jusqu’à la chute de la dynastie Qing en 1912.
Les Mongols entrent dans la danse - la dynastie Yuan (1271-1368)
En 1271, Kubilai Khan, descendant de Gengis Khan, chef de l’Empire mongol, à l’époque extrêmement puissant, envahit la Chine, fonde la dynastie Yuan et établit sa capitale à Pékin. En 1279, il parvient à unifier l’ensemble du pays sous la domination mongole, faisant alors de la Chine un territoire immense incluant le Tibet et la Mongolie. Bien que tolérants en ce qui concerne les pratiques religieuses, les Mongols mettent en place une politique très discriminante pour les Han. Les Mongols appartiennent à une classe sociale supérieure et les Chinois ont un statut fiscal, un traitement judiciaire et une éligibilité à des postes administratifs différents. Après 100 ans de règne, des révoltes populaires font tomber la dynastie menant à la fondation de la dynastie Ming.
🌍 En Europe pendant ce temps
1095-1270 : les croisades
1240s-50s : les armées mongoles de Batu Khan (fils de Gengis Khan) et fondateur de la Horde d’Or (en jaune sur l’animation) envahissent l’Europe de l’Est et menacent la Pologne et la Hongrie
1337 : début de la guerre de cent ans
L’âge d’or de la dynastie Ming (1368-1644)
La période de la dynastie Ming est très prospère et l’empereur Yongle (1402-1424) a particulièrement marqué son époque. Il y a tout d’abord un essor de la culture et des arts, on pense à la porcelaine Ming bleue et blanche devenue légendaire pour sa qualité et son raffinement.
Sous les Ming, les frontières sont fortifiées, notamment avec la Muraille de Chine qui est étendue sur plus de 20,000km et à laquelle des tours de guet sont ajoutées.
Des relations avec l’Europe se tissent petit à petit. Jusque-là, les Chinois échangeaient des produits avec les Européens à travers les Routes de la Soie, mais sans les rencontrer. Le temps des Ming correspond aux débuts des expéditions d’exploration des navigateurs espagnols et portugais. Les Portugais négocient alors le droit de s’installer à Macao, en échange du contrôle des pirates.
Mais les Ming restent méfiants vis-à-vis des étrangers qu’ils considèrent comme barbares : ils ne les tolèrent qu’en marge de l’Empire. Les Ming conservent cette vision sino-centrée du monde, les peuples étrangers doivent servir les intérêts chinois avant tout.
🌍 En Europe pendant ce temps
1453 : Prise de Constantinople par l’Empire Ottoman, fin de l’Empire Byzantin
1492 : Prise de Grenade au Royaume musulman de Grenade par les rois catholiques, découverte de l’Amérique par Christophe Colomb
1643 : couronnement de Louis XIV (règne jusqu’en 1715)
Un ordre du monde que la Chine contemporaine souhaite restaurer comme l’affirme le secrétaire de la défense américaine James Mattis en 2018 :
La Chine nourrit des desseins à long terme de récrire l’ordre mondial existant. Ces tentatives, selon lui [James Mattis] reposent sur une nostalgie. “La dynastie Ming semble être leur modèle, quoique d’une façon plus musclée, en exigeant des autres nations qu’elles deviennent tributaires et fassent kow-tow [geste signe de profond respect qui consiste pour la personne qui l'exécute à se mettre à genoux et à s'incliner de manière que sa tête touche le sol] à Beijing”. Frankopan, Peter. Les Nouvelles Routes de la Soie. Champs histoire. 2018. p 150. Plus de détails dans l’article n°8 sur les relations internationales.
Les Ming brillent finalement par leur architecture. La Cité Interdite, le Temple du Ciel, le Jardin Yu…,leurs monuments sont aujourd’hui visités par des millions de touristes.
La fin de deux mille ans d’empire sous les Qing, la dynastie Mandchoue (1644-1912)
La dynastie Qing sera la dernière. Tout commençait pourtant bien pour eux. En 1644, les Mandchous (peuple du nord est) parviennent à passer la Grande Muraille grâce à la trahison d’un général en poste sur le rempart. Les Qing prennent le pouvoir et le détiendront 300 ans. Les trois premiers empereurs (1661-1796) font prospérer le pays et l'étendent en annexant les régions du Tibet, du Xinjiang, de la Mongolie intérieure et Taïwan, portant ainsi l’Empire chinois à sa plus grande taille historique.
Il est important de noter ici que ces régions, - qui sont aujourd’hui des “Régions Autonomes” (sauf Taïwan qui est un État de facto) -, ont précisément été intégrées à la Chine sous les Qing, la dernière dynastie, dont les empereurs sont de l’ethnie mandchoue, considérée comme étrangère. C’est aujourd’hui un argument de poids pour les séparatistes ouïghours, tibétains et mongoles qui démontrent ainsi qu’elles ne font pas partie de la Grande Nation Chinoise de Xi Jinping aujourd’hui (cf article n°6).
C’est également l’apogée de la culture Qing dont nous pouvons par exemple reconnaître l’architecture très colorée et la robe Qipao, symbole de l’élégance chinoise.
Les Qing cherchent à instaurer la paix au sein de leur empire immense et disparate en menant une politique de coexistence multi-ethnique et tentent de gagner le soutien des élites Han. Ils adoptent le confucianisme et le système administratif chinois et tolèrent la pratique de tous les cultes.
Mais ces mesures ne guérissent pas le sentiment d’être occupés par une force étrangère ni le traumatisme des politiques discriminatoires à l’égard des Hans telles que l’interdiction de mariage mixte avec les mandchous, la relégation à des postes subalternes, les répressions autoritaires, les inégalités devant la fiscalité et la justice, et surtout l’obligation de porter la tresse mandchoue, symbole de la soumission humiliante aux Qing sous peine de mort.
🌍 En Europe pendant ce temps
1715 : mort de Louis XIV
1789 : Révolution française
1799 : Coup d’État de Napoléon Bonaparte
Le règne des Qing va finir par tourner au vinaigre : c’est le début du fameux « siècle de l’humiliation » (1839-1949). Les événements qui suivent sont très importants car ils sont le fondement de l’esprit revanchard vis-à-vis de l’Occident que le Parti Communiste attise aujourd’hui. Ils permettent aussi à la Chine de se situer parmi les victimes de la colonisation et de construire des alliances avec les autres pays décolonisés.
Il faut d’abord comprendre que les Qing sont très conservateurs, traditionnels, attachés aux valeurs confucéennes. Ils se méfient du modernisme étranger et deviennent isolationnistes. À la fin du XVIIIème, l’empereur limite au port de Canton le commerce avec les Européens. La Grande-Bretagne, en pleine révolution industrielle, recherche des approvisionnements en matières premières et des marchés pour ses produits, l’Angleterre victorienne est d’ailleurs très fan du thé chinois. Mais elle se heurte au refus de payer en nature, les Chinois n’acceptent que le cash ! La Grande-Bretagne, forte de ses produits manufacturés mais en manque d’argent et inquiète d’une balance commerciale déficitaire trouve une combine lucrative : acheter illicitement le thé à des réseaux de contrebande chinois en échange d’opium cultivé dans leur colonie voisine, l’Inde. La consommation d’opium devient un véritable problème de santé public : les Chinois durcissent leurs lois pour interdire son commerce et emprisonnent des milliers de trafiquants, ce qui n’est pas du tout au goût des anglais.
Ceux-ci répondent avec les canons, c’est la première Guerre de l’opium (1839-1842). Cette guerre révèle le retard technologique militaire de la Chine et aboutit au premier « traité inégal » de Nanjing, qui cède Hong Kong aux Anglais et établit cinq nouveaux ports de commerce ouverts à toute marchandise.
Mais les Anglais ne s’arrêtent pas là et veulent encore plus de libre-échange. Ils prennent pour excuse la capture de quelques marins anglais par les Chinois, les Français se joignent à eux en prétextant la vengeance du meurtre d’un de leur missionnaire. Les Américains, eux, se servent d’un soi-disant tir lointain sur un de leur navire.
🌍 En Europe pendant ce temps :
1804 : Sacre de Napoléon Ier et défaite à Waterloo à 1815
1852-1870 : Second Empire de Napoléon III, défaite contre la Prusse en 1870.
1870 : début de la IIIème République en France, colonie établie de l’Indochine.
Tout le monde attaque donc la Chine, c’est la seconde Guerre de l’opium (1856-1860). Elle mène au sac du magnifique Palais d’été de Pékin, qui restera un vrai traumatisme pour les Chinois, et au traité de Tianjin qui ouvre dix nouvelles villes au commerce ainsi que des ambassades à Pékin. Les diplomates et les commerçants sont de plus en plus présents et occupent même des quartiers entiers. On pense à la célèbre concession française de Shanghai.
En parallèle, la dynastie Qing, affaiblie par ces défaites, fait face à des rebellions internes telles que la révolte des Taiping (1851-1864) menée par Hong Xiuquan qui se disait frère cadet de Jésus et voulait instaurer un état chrétien en Chine. Cette guerre intestine peu connue a été matée par les forces impériales aidées des occidentaux, mais a fait plus de 20 millions de morts et reste la guerre la plus meurtrière du 19ème siècle. Plus tard, en 1899, la trop grande présence étrangère conduit à la révolte des Boxers, un groupe de nationalistes très violents désirant abolir les avantages des occidentaux. Cixi, l’impératrice douairière au pouvoir, les soutient d’abord puis se rend compte de leur virulence incontrôlable et s’allie finalement aux occidentaux pour les mater.
Femme puissante au destin incroyable, Cixi règne de 1861 à 1908 grâce au système de régence, qu’elle exerce pour son fils et son neveu. D’abord simple concubine de l’empereur Xianfeng (dynastie Qing), elle parvient à se hisser au sommet du pouvoir grâce à des manigances habiles, à une intraitable fermeté et à la passion que l’empereur éprouve pour elle. Même si elle ne parvient pas à empêcher la chute de l’empire, elle gère seule les révoltes et la menace étrangère puis initie la modernisation du pays. Pour tout savoir de son parcours extraordinaire, je recommande vivement le roman Impératrice de Chine paru en 1956 aux éditions Stock, de Pearl Buck, prix Nobel de littérature en 1938.
Tous ces facteurs internes puis externes mènent à l’affaiblissement du pouvoir des Qing déjà peu aimés de l’ethnie Han, qui les voit toujours comme des occupants étrangers. Ce contexte favorisera la révolution de Sun-Yat-Sen en 1912 qui deviendra le premier président de la République de Chine.
Ces grandes dynasties font aujourd’hui la fierté des Chinois à qui on rappelle constamment leur prestige et leur supériorité. Contrairement à l’Europe, la chute de l’ancien régime n’est pas si ancienne, sa renommée est donc encore bien présente dans les esprits. Le siècle de l’humiliation (qui ne se termine pas avec la chute des Qing, la suite dans les prochains articles !) a marqué les Chinois et est utilisé aujourd’hui par le Parti Communisme pour présenter son influence contemporaine comme une revanche sur les occidentaux colonisateurs.
Les points à retenir
- Les guerres de l’opium contre les puissances anglaises, françaises et américaines, les révoltes internes et le sentiment persistant d’être gouverné par des empereurs étrangers mandchous préparent le terrain à la révolution républicaine de Sun Yat-Sen en 1912.
- Le prestige des grandes dynasties et leur chute sont aujourd'hui utilisés par Xi Jinping comme outil de propagande. Il réécrit l'histoire pour attiser le nationalisme chinois et répand l'idée que l'Empire du Milieu doit prendre sa revanche sur l'Occident.
- Le Mandat du Ciel est un concept qui confère à un souverain le droit de gouverner à condition qu’il agisse avec vertu, justice et bienveillance et qu’il assure la prospérité du pays. Il est une clef de lecture très intéressante pour comprendre la relative acceptation de la dictature actuelle par la population chinoise.
- L’Art de la guerre de Sun Tzu (VIème av J.-C) compile des notions qui éclairent également le présent. La guerre est longue et se doit d’être indirecte. L’affrontement n’a lieu que si la victoire est assurée : tout se joue en amont par la ruse et la guerre psychologique. Le conflit à Taïwan ainsi que les stratégies économiques et commerciales chinoises en sont de parfaites illustrations.
Articles suivants :
2 | Des sagesses qui résonnent encore3 | Les malheurs du XXème : guerre civile, occupation japonaise et communisme de Mao4 | 2ème PIB mondial en 30 ans (1980-2010)5 | L’ascension et la doctrine de Xi Jinping : du Prince rouge déchu au Nouvel Empereur autoritaire et nationaliste