2010 - 2025
⏱️ 26 minutes
Dernier article de la série, c’est parti ! Pour ceux qui ont commencé par la fin, résumons.
Nous avons examiné jusqu’ici comment la croissance chinoise a explosé grâce à l’économie socialiste de marché initiée par Deng Xiaoping dans les années 80. Après 2001 et son entrée à l’OMC, sa croissance s’est encore accélérée, portant son PIB à près de 19 000 milliards de dollars en 2024 (derrière les États-Unis : 29 000 mds).
En 2013, Xi Jinping est nommé Président de la République Populaire. Il marque une rupture avec ses prédécesseurs à bien des égards. Le “Nouvel Empereur” a l’ambition de réaliser le “rêve chinois” et faire de la Chine la 1ère puissance mondiale d’ici 2050 grâce à son idéologie apprise de tous et un plan d’action bien pensé. Forte d’un mélange de pensée maoïste et marxiste, de confucianisme, de légisme et de capitalisme, sa doctrine légitime son autoritarisme et semble convaincre individus comme entreprises d’aller dans son sens.
Sur le plan international, des investissements massifs dans le monde entier et l’établissement d’amitié avec des ennemis de l’Occident comme la Russie et l’Iran montrent le mépris de Xi Jinping envers les États-Unis et sa volonté d’établir un nouvel ordre mondial.
La stratégie de domination passe aussi par une montée en gamme technologique : la Chine inonde les marchés de produits haut de gamme à bas prix, que les entreprises chinoises peuvent pratiquer grâce aux subventions de l’État-Parti. D’ailleurs, le Parti Communiste et le secteur privé sont imbriqués : certains entreprises sont publiques ou semi-publiques et des membres du Parti ont des parts dans les entreprises privées. Le PCC peut donc dicter la marche à suivre pour atteindre ses objectifs géopolitiques et économiques.
Tout laisse donc penser que la Chine a trouvé la recette gagnante pour dominer le 21ème siècle.
Mais de gros doutes perdurent et le système chinois a des failles. Le projet de Xi Jinping coûte très cher et mise sur la rentabilité d’infrastructures gigantesques, provoquant une crise immobilière et un niveau de dette similaire à la France. Les tensions géopolitiques autour des droits de douane de Trump remettent en question son modèle : que faire de tout le surplus quand la demande intérieure est peu dynamique ? Et puis, questionnons aussi le moral et l’opinion des Chinois : seront-ils éternellement d’accord avec la surveillance, la répression et la pression du résultat ?
Au programme
Le Pacte politique du Parti Communiste Chinois
Un contrôle poussé à l’extrême
Un modèle économique à bout de souffle ?
Depuis la pandémie de la COVID-19, la croissance de la Chine ralentit. De 1980 à 2010, son taux de croissance était supérieur à 8% mais passe en dessous des 6% depuis 2019 pour atteindre 5% en 2024. Même si ces chiffres sont bien au dessus de la croissance mondiale (≈ 3%) et française (≈ 1.2%), la question de la viabilité du système chinois se pose. La Chine fait aujourd’hui face à des problèmes structurels “susceptibles de menacer la stabilité financière et sociale du pays”(Philippe Aguignier, Institut Montaigne, 2024).
Crise immobilière et magouille de la dette
Souvenez-vous, le secteur immobilier est un pilier de l’émergence de la Chine : les collectivités locales vendent des terrains pour investir dans des infrastructures industrielles et de logement, dont la demande est boostée par les mouvements migratoires vers les villes côtières (cf infographie Comment fonctionne l’économie socialiste de marché). Les promoteurs immobiliers font fortune, les projets d’urbanisation se multiplient, les autres secteurs sont dynamisés (BTP, matières premières,…) et créent de nombreux emplois.
Mais depuis 2020, la Chine traverse une profonde crise du secteur immobilier.
Que s’est-il passé ? Sous la pression des objectifs des plans quinquennaux dictés par le PCC, les collectivités locales sur-investissent dans des projets complètement disproportionnés pour gagner des points de croissance. La demande, du fait du déclin démographique, ne suit pas, ce qui rend inutile bon nombre de constructions titanesques (aéroports, routes, barres d’immeubles). Les promoteurs, surendettés, font faillite (comme les géants Evergrande en 2024 et Country Garden en 2023) mettant en difficulté les banques. Les prix de l’immobilier s’effondrent provoquant des licenciements, la perte de confiance des ménages et la dévaluation de leur patrimoine. Cette crise a de lourdes conséquences sur la croissance et sur la consommation étant donné le poids du secteur dans l’économie chinoise (30 % du PIB).
“La mise en concurrence des dirigeants provinciaux suivant le mot d’ordre du “tout pour la croissance” a accentué les phénomènes de surinvestissements et de mauvaise allocation du capital.” Direction Générale du Trésor, Mai 2023
Cette crise immobilière a un impact direct sur les collectivités locales et engendre une crise de la dette. Il faut d’abord comprendre l’organisation du système gouvernemental chinois : elle est la cause du déficit des gouvernements locaux qui dépensent plus qu’ils ne gagnent.
→ D’un côté, le gouvernement central finance les projets internationaux et les infrastructures nationales de grande ampleur (autoroute, chemin de fer,…). Il accumule des réserves de change (en dollars, euro, yen,…) grâce aux entreprises exportatrices qui lui permettent de financer ses prises de participation dans des entreprises étrangères (européennes par exemple). Grâce à près de la moitié des recettes fiscales et aux dividendes des entreprises d’État - qui lui versent 30% de leurs bénéfices, le PCC finance également (en yuan) sa politique étrangère de domination du Sud Global (Nouvelles Routes de la Soie, aide au développement) et de montée en gamme technologique (subventions aux entreprises d’intelligence artificielle, de véhicules électriques, etc).
→ En parallèle, les collectivités sont chargées de financer la totalité des prestations sociales, les hôpitaux, les écoles, les infrastructures locales et les investissements nécessaires à l’atteinte des objectifs quinquennaux tels que les équipements industriels ou de la transition écologique (cf article n°7 sur l’écologie). Elles financent tous ces projets grâce à la vente de terrains. Mais c’est loin d’être suffisant, surtout dans une situation de crise immobilière.
Les collectivités locales, ayant un plafond d’endettement légal, utilisent alors les Local Government Financing Vehicles (LGFV) , en français, des “véhicules de financement des gouvernements locaux”. Il s’agit d’entités juridiques créées par les gouvernements pour contourner les restrictions légales sur l’endettement : elles peuvent emprunter illicitement énormément de fonds. Quasiment similaires à des entreprises d’État, les LGFV n’ont toutefois qu’une seule activité : l’emprunt de fonds servant au financement des dépenses publiques. Les banques acceptent de prêter puisque la dette est implicitement garantie par le gouvernement. On parle alors de dette cachée puisqu’elle est “hors-bilan”, non comptabilisée comme une dette souveraine alors qu’en réalité, ce sont bien des entités publiques qui empruntent. En conséquence, la dette publique chinoise représente officiellement 69% de son PIB (37% pour le gouvernement central, 32% pour les gouvernements locaux) alors qu’en réalité, les LGFV ajoutent 48 points, la hissant à 117% du PIB.
La question de la dette fait plus que jamais débat en France : sommes-nous au bord de la faillite, faut-il relativiser ? La question est similaire dans le cas de la Chine, qui, en comptant la dette cachée, se positionne derrière de grandes puissances comme le Japon (252% du PIB en 2023), les États-Unis (122%) et un peu au dessus de la France (111%). Mais même si les niveaux de dette sont quasiment équivalents, la situation chinoise est bien différente.
Dans le cas de la Chine, deux éléments jouent en sa faveur, minimisant la gravité de la dette :
Il est donc peu probable que le pays entre en faillite prochainement, mais cette dette crée tout de même des déséquilibres, ralentit la croissance et pourrait remettre en question les ambitions de Xi Jinping :
Les Chinois ne consomment pas assez
Le deuxième grand enjeu des dirigeants politiques chinois réside dans la relance de sa consommation intérieure, bien inférieure à celle des autres pays du monde : 40% du PIB en Chine contre 68% aux États-Unis et 52% pour l’Union Européenne.
Cela résulte directement du modèle économique extraverti chinois : un système reposant sur le financement public de l’appareil industriel dédié à l’exportation et sur une main d’oeuvre peu chère. Concrètement, cela implique des prestations sociales très basses pour concentrer les dépenses publiques vers les équipements et les infrastructures : ces dernières représentent 42% du PIB (contre 23% en UE). Les salaires n’ont quant à eux pas vocation à augmenter dans le but de maintenir des prix compétitifs sur les marchés internationaux. Pour le dire plus simplement, l’économie chinoise est tournée vers l’international et non vers la demande intérieure et le confort de la population.
Des prestations sociales faibles qui n’incitent pas à la consommation
Bien que les dépenses publiques sont dans la moyenne mondiale (16,5% du PIB), les prestations sociales, qui en sont une composante, ne représentent que 8% du PIB (contre 31,5% en France et 29% en Allemagne).
Comme vu dans l’article n°5 sur l’idéologie de Xi Jinping, il méprise l’État Providence qui entretient des “gens paresseux”. Si les Chinois bénéficient tout de même d’une assurance retraite, d’une assurance chômage et d’une assurance maladie, celles-ci ne représentent que 8% du PIB et ce taux n’est pas nationalement centralisé, il varie en fonction de la richesse des régions. Les Chinois sont donc très peu protégés et de manière inégale. On voit par exemple sur le graphique que le montant alloué à l’assurance chômage est très faible (0.1% du PIB). Elle concerne uniquement les salariés des entreprises publiques et privées en milieu urbain. Les travailleurs ruraux, migrants et les indépendants sont exclus. La perte d’emploi doit être involontaire (licenciement, faillite de l’entreprise) et les prestations sont minimes comparées aux standards occidentaux. L’assurance santé est elle aussi inégalitaire selon les régions et les hôpitaux publics sont souvent saturés, avec des files d’attente importantes. Les Chinois ont donc recours aux établissements privés ou les services « VIP » des hôpitaux publics, à leur frais. La retraite est assurée par un système de répartition, qui est sérieusement remis en question du fait du déclin démographique du pays.
La crise immobilière menant à une perte de confiance des Chinois et les prestations sociales très faibles conduisent les ménages à douter de l’avenir et à épargner plutôt qu’à consommer.
Pourquoi est-ce un problème ? Comme la tendance mondiale est au repli et au protectionisme, les marchés étrangers risquent de ne plus pouvoir absorber les surcapacités industrielles de la Chine. C’est pourquoi le PCC tente de relancer la consommation intérieure pour espérer atteindre ses objectifs de croissance de 5% en 2025.
“Ce déséquilibre ne posait pas de problème tant que les marchés étrangers absorbaient les surplus” Madec, Manon. Travailler moins pour consommer plus : la nouvelle stratégie de la Chine pour relancer son économie. Juin 2025. Alternatives Économiques.
Pékin a récemment annoncé plusieurs mesures pour s’attaquer à ce problème : augmentation du nombre de jours fériés, réduction des heures travaillées pour booster la consommation, mesures pour augmenter les transferts aux ménages (hausses des retraites et des assurances médicales, allocations pour la garde d’enfants, aides à l’achat de téléphones) et même élévation du salaire minimum. Mais il reste le problème des gouvernements locaux qui sont en charge de payer toutes ces prestations alors qu’ils sont endettés jusqu’au cou…
Crise immobilière, crise de la dette, surcapacité industrielle, consommation intérieure atone et chômage, le modèle extraverti a certainement permis à la Chine de se hisser au rang de seconde puissance mondiale mais il comporte également des problèmes structurels mis en lumière par les tensions géopolitiques actuelles et le protectionisme ambiant. Il ne tient qu’à l’Union Européenne de prendre ces difficultés en compte pour négocier avec l’Empire du Milieu…
Le Pacte politique du Parti Communiste Chinois
Si vous visitez un jour la Chine, vous serez très surpris par le nombre de caméras filmant la rue à 360 degrés sur chaque lampadaire, par les portiques de sécurité à chaque entrée de métro et par les agents de sécurité dans chaque rame. Depuis des décennies, et de manière démultipliée depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, le Parti communiste a instauré un contrat social tacite. En échange d’une stabilité politique, d’une croissance économique fulgurante et d’une restauration de la puissance nationale, la population accepte un contrôle social omniprésent. Ce pacte repose sur la promesse d’un enrichissement collectif et d’un retour de la Chine au rang de grande puissance, respectée et crainte, après le siècle de l’humiliation. La prospérité matérielle et le nationalisme servent ainsi de légitimité au régime, ce qui normalise l’absence de libertés individuelles. Une équation subtile reposant sur les principes du légisme selon lesquels l’homme est mauvais par nature et seule l’autorité permet d’éviter le chaos.
Un contrôle poussé à l’extrême
La situation s’est considérablement aggravée depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012. Aujourd’hui, le contrôle et la surveillance de la population est sans équivalent dans le monde, à l’exception de la Corée du Nord. Donnet, Pierre-Antoine. Pourquoi un Navalny ne pourrait pas exister en Chine. Mars 2024. Asialyst
Selon un rapport d’IHS Markit, une entreprise américaine d'information, 700 millions de caméras seraient installées en Chine dans les rues, les transports, les lieux publics, en zone urbaine et en zone rurale, soit une caméra pour deux habitants ! (Le Grand Continent, septembre 2025). Véritable outil de contrôle politique, ces caméras servent à traquer les opposants, prévenir les manifestations et dissuader les rebellions, particulièrement dans les régions où les minorités revendiquent plus d’autonomie comme le Xinjiang.
Ces caméras sont une source gigantesque de données alimentant des modèles d’intelligence artificielle qui permettent d’identifier instantanément des personnes ou anticipent des comportements suspects (bagarres, rassemblements non autorisés, marche "anormale”).
Inutile de préciser que le consentement explicite n’est pas requis, les données sont stockées sans l’accord des individus. La Chine a adopté depuis 2020 une loi similaire à notre RGPD, la PIPL, mais celle-ci ne s’applique pas à l’État dès lors qu’il s’agit d’une question de “sécurité nationale”.
Internet et les applications sont également des outils de surveillance et de propagande très efficaces. Les Chinois n’ont pas accès aux médias occidentaux, ni à nos plateformes (Facebook, Instagram, et même TikTok qui est pourtant chinois). Les géants de la tech chinois ont créé leurs propres plateformes, aujourd’hui utilisées par la quasi-totalité de la population tant elles sont devenues indispensables dans une Chine ultra-connectée. L’exemple le plus connu reste l’application WeChat, créée par Tencent en 2011, devenue première application mobile mondiale en 2018 avec ses 1,4 milliards d’utilisateurs. C’est simple, WeChat permet de tout faire : messagerie instantanée, réseau social intégré, paiements, investissements, prise de rendez-vous médicaux, achat de billets de train/métro, réservation de taxis…
La marketplace Taobao (Alibaba) qui compte plus d’un milliard d’utilisateurs par mois, Weibo l’équivalent de Twitter, iQiyi l’équivalent de Netflix, Didi l’équivalent de Uber, Baidu l’équivalent de Google et Douyin (ByteDance) la version de TikTok utilisée en Chine, sont autant d’autres exemples d’applications qui participent d’une manière ou d’une autre à la propagande du Parti et à la surveillance de la population.
Par quels mécanismes ? Il est fréquent que le PCC ait recours au dispositif de la Golden Share (ou “action dorée”) : des entités publiques (comme des fonds souverains ou des médias publics) acquièrent 1% de l’entreprise contre des droits disproportionnés. Par exemple, elles bénéficient d’un droit de veto sur des décisions stratégiques ou l’obtention d’un siège au conseil d’administration. L’ “action dorée” est systématique dans le cas des entreprises tech (Tencent, Alibaba, ByteDance) et elle permet à l’État chinois de renforcer son emprise sur les canaux numériques que les citoyens utilisent au quotidien. Les plateformes doivent ajuster leurs algorithmes pour supprimer les contenus "sensibles" (critiques du Parti, appels à la mobilisation, informations sur le Tibet/Xinjiang, mention de Tiananmen), promouvoir des contenus pro-gouvernementaux (mise en avant des comptes officiels du Quotidien du Peuple sur WeChat par exemple), étouffer les scandales et orienter l’opinion.
Cet accès aux plateformes par l’État est également un outil d’avertissement et de punition. Après l’expression d’une opinion non conforme, un utilisateur peut voir son compte WeChat coupé, ce qui est extrêmement contraignant puisque l’application permet de communiquer, payer, ou acheter des titres de transport. Cela mène inévitablement à l’autocensure : les utilisateurs évitent de leur propre chef de parler de sujets qui fâchent par peur des sanctions. Finalement, le PCC peut contraindre ces entreprises à lui donner accès à toutes les données de leurs utilisateurs (transactions bancaires, déplacements, discussions, temps passés sur un contenu) pour les utiliser à des fins de sécurité et de contrôle de l’opposition.
Et qu’en est-il du Système du Crédit Social : mythe ou réalité ?
Mythe ! Nous aimons fantasmer sur l’épisode de Black Mirror et imaginer qu’un système de notation des citoyens existe déjà en Chine mais c’est faux. Si la presse occidentale en a beaucoup parlé, c’est parce que le gouvernement chinois a annoncé en 2014 un programme de 6 ans pour mettre en place un système de crédit social. Il était censé concerner les entreprises, les individus et les gouvernements. À l’époque, les dirigeants voulaient rétablir la confiance entre les institutions, les entités privées et les Chinois après les abus des entreprises, la corruption et l’évasion fiscale excessive dans les années 2000.
D’après Pierre Sel, doctorant de l’Université de Vienne spécialisé sur le système de crédit social (tribune Opinion | Crédit social en Chine : cassons les mythes orwelliens. Février 2022. Les Echos) et Frédéric Lemaître (auteur de Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping), aucun système de crédit social qui empêcherait quelqu’un d’emprunter parce qu’il n’aurait pas dit bonjour à son voisin ou aurait traversé au feu rouge n’existe aujourd’hui. Certains programmes destinés aux personnes ont été mis en place par des entreprises privées sur base de volontariat, s’apparentant plutôt à un programme de fidélité qu’à un système de sanctions. C’est le cas du Crédit Sésame, développé par Ant Group, une filiale du groupe Alibaba, non gouvernementale. Certains gouvernements locaux ont fait des tests dans quelques villes mais tous les programmes en question ont été abandonnés. Aujourd’hui, seules les entreprises et les individus ne payant pas leurs dettes alors qu’ils le pourraient peuvent être interdits de voyager ou d’emprunter.
“Le SCS punit principalement les enregistrements frauduleux d’entreprises, les chauffeurs Uber dont la licence est expirée, les ventes de médicaments non autorisés, etc. Sel,Pierre. Opinion | Crédit social en Chine : cassons les mythes orwelliens. Février 2022. Les Echos.
Si le Système de Crédit Social est un mythe, les éléments mentionnés ci-dessus (caméras à reconnaissance faciale, censure, propagande) montrent tout de même que le Parti Communiste Chinois utilise les données à grande échelle, les applications mobiles et l’intelligence artificielle pour pratiquer la surveillance de masse. Sans aller jusqu’aux dérives d’un système de notation, c’est tout de même très problématique en terme de libertés et des droits individuels.
Répressions, exclusions et conservatisme d’État
Traque des opposants et des intellectuels
Nous avons déjà vu comment le Parti Communiste traquait les opposants dans les régions autonomes (Tibet, Xinjiang, etc) dans l’article n°6 sur la Grande Nation Chinoise. Les militants protestant contre l’autorité du régime sont eux-aussi férocement sanctionnés hors de ces régions.
Sous Xi Jinping, les quelques voix qui osaient encore s’élever au nom de la démocratie et des droits humains sont devenus presque muettes, en tout cas inaudibles. Lemaître, Frédéric. Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping. 2024. Tallandier. p120
Parler à des journalistes étrangers, défendre la démocratie et les droits humains, même distribuer des tracts dans le métro, peut mener à des arrestations, de la torture et des dizaines d’années de prison. Les familles des opposants sont ensuite extrêmement surveillées et subissent des descentes policières à répétition et des gardes à vue humiliantes.
Prix Nobel de la paix en 2010, Liu Xiaobo reste une figure emblématique de la lutte pour les droits humains et la démocratie en Chine. Intellectuel et militant, il co-rédigea la Charte 08, un texte fondateur exigeant des réformes politiques et le respect des libertés. Condamné à onze ans de prison pour « subversion », il fut empêché par les autorités chinoises d’aller chercher son prix à Oslo, une première depuis le régime nazi. Malgré les pressions internationales, Pékin a maintenu sa détention dans des conditions draconiennes. Atteint d’un cancer en détention, il n’a été libéré qu’à l’agonie, en 2017, sous étroite surveillance. Son épouse, Liu Xia, assignée à résidence pendant des années, incarne elle aussi le lourd tribut payé par ceux qui défient le parti unique.
L’art censuré
La création artistique est également étroitement contrôlée par le pouvoir, qui impose des limites strictes. Peintres, musiciens, écrivains ou cinéastes doivent choisir entre l’autocensure et le risque de répression. Les œuvres peuvent être interdites, les expositions annulées, les comptes en ligne supprimés pour ceux qui osent aborder des sujets sensibles comme les droits humains ou l’histoire du pays. Les autorités surveillent les galeries, les réseaux sociaux et les plateformes de streaming, effaçant toute trace de critique ou de dissidence.
Le cinéma est un art particulièrement réprimé. Non seulement, très peu de films chinois sont diffusés à l’international, mais très peu de films étrangers sont autorisés en Chine : un quota de 34 films par an seulement (Lemaître, Frédéric. 2024. Tallandier) et les films américains ne représentent que 5 % du box-office en Chine, et certaines parties sont réécrites.
Les films chinois quant à eux sont soit soumis à la censure, c’est-à-dire annulés si le récit ne glorifie par assez le Parti et la Chine, soit carrément produit par le Parti, fort de ses studios publics. On peut par exemple penser à La Bataille du lac Changjin, commandé par le département de la propagande du Comité central du Parti communiste chinois et diffusé en 2021, qui parle de soldats chinois combattant les américains pendant la guerre de Corée, ou Wolf Warrior, qui met en scène les exploits d’un soldat des forces spéciales de l'armée chinoise. Le concept de “loups guerriers” pour désigner les diplomates chinois (cf article n°8 sur les relations internationales) vient d’ailleurs de ce film qui a connu un immense succès en Chine.
Les riches et les entrepreneurs mis au pas
Il est facile d’avoir en tête des dictatures, et même des démocraties libérales dans lesquelles les plus riches sont très proches du pouvoir, voire l’influencent. C’est différent dans la Chine de Xi Jinping, où le rapport aux riches est assez contradictoire.
En 2021, Xi Jinping parle de “prospérité commune” dans un discours devant la Commission centrale des affaires financières et économiques (CCAFE) puis dans la revue théorique du PCC. Cette notion est très importante à la compréhension des systèmes politiques chinois et du rapport à la richesse et la propriété. Elle est utilisée pour la première fois par Mao qui l’a appliquée via sa politique de collectivisation brutale de la propriété et l’établissement des communes populaires. On ne peut pas faire plus commun… Avec la libéralisation de l’économie dans les années 80, Deng Xiaoping continue de s’appuyer sur le principe mais le revisite : il s’agit pour lui d’un objectif de société qui pourra être atteint grâce à l’économie socialiste de marché. Il avance qu’il est normal que certains s’enrichissent d’abord (certaines régions, certaines personnes), puis aident les autres ensuite.
Liberté vs égalité : ce clivage a structuré le XXe siècle, opposant modèles libéraux et idéaux collectivistes. Il est intéressant de remarquer, grâce à l’enquête menée par World Values Survey, qu’après des années de communisme et en dépit de la libéralisation économique, les Chinois choisissent encore l’égalité, là où les États-Unis et l’Allemagne placent la liberté au cœur de leurs valeurs.
Xi Jinping s’inspire de ces diverses approches pour forger sa propre interprétation de la “prospérité commune”. Il rappelle que le développement économique provoque irrémédiablement des inégalités mais que celles-ci doivent être amoindries. Fidèle à son ambition d’assurer la continuité entre Chine traditionnelle (cf article n°6 sur la doctrine de Xi Jinping) et marxisme, Xi Jinping entend aussi ici s’appuyer sur les principes confucéens. Ceux-ci avancent que l’enrichissement n’est absolument pas honteux s’il est acquis de manière juste. Mais il doit aussi servir l’harmonie sociale, objectif ultime du philosophe. La richesse doit être redistribuée avec sagesse : pour la famille, pour la communauté, pour le financement des rites sociaux...Insister sur la prospérité commune est aussi un moyen pour Xi de continuer la bataille idéologique contre l’Occident. Tandis que le capitalisme repose sur l’individualisme et l’inégalité, le modèle chinois vise à enrichir tout le monde. Xi Jinping semble donc avoir à coeur de “remédier aux effets négatifs de la transformation industrielle” comme en témoigne ses grands programmes de réduction de l’extrême pauvreté.
Mais la Chine reste tout de même très inégalitaire. Elle compte le plus de milliardaires au monde depuis 2021 : 969 en 2023 contre 357 en 2013 et 691 aux États-Unis (Frédéric Lemaître. 2024) et 1% des plus riches détiennent 30% de la richesse (World Inequality Database), contre 22% en France (INSEE). Les riches ne sont d’ailleurs pas taxés : il n’y a pas d’impôts sur la fortune, ni sur le foncier.
Fidèle aux principes confucéens, Xi Jinping préfère encourager la générosité et la philanthropie des plus fortunés. Si cela semble avoir peu de résultat, cela permet surtout à Xi Jinping de mettre au pas les riches et les dirigeants d’entreprises. Sans règles précises sur la richesse (comme des impôts par exemple), le Président tout puissant peut sanctionner à sa guise ou même faire arrêter des personnes trop dérangeantes. Les milliardaires et les patrons n’ont donc pas d’influence sur le Parti. Xi Jinping ordonne, réprimande en cas d’attitude ostentatoire et met au placard lorsqu’une personnalité prend trop de place sur la scène internationale.
“Xi Jinping tolère les riches, mais il y met une condition : qu’ils fassent allégeance au Parti et donc à lui-même. […] Pour - bien - survivre dans la Chine de Xi Jinping, les riches doivent également se faire discrets et généreux. […] Plutôt que gouverner par le droit, Xi Jinping préfère régner par la peur” Lemaître, Frédéric. Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping. 2024. Tallandier. p180
La cas de Jack Ma (Alibaba), parfait exemple.
Jack Ma, fondateur d’Alibaba et figure emblématique de l’innovation chinoise, a vu son image basculer en 2020-2021 après des critiques publiques contre les régulateurs financiers chinois. Son discours à Shanghai en octobre 2020, où il comparait les banques à des « maisons de jeu », a déclenché une répression sans précédent. Les autorités ont bloqué l’introduction en Bourse record d’Ant Group (filiale d’Alibaba), infligé une amende historique de 2,8 milliards de dollars pour « abus de position dominante », et lancé une vague de régulation contre les géants tech (le « crackdown »). Bien qu’il n’ait jamais été officiellement arrêté, Ma a disparu de la scène publique pendant des mois, alimentant les rumeurs d’une mise à l’écart forcée. L’affaire a fait la une mondiale, illustrant les risques de défier Pékin, même pour un milliardaire aussi influent.
Conservatisme d’État et valeurs traditionnelles : LGBT+ et égalité homme-femme
En avance sur la technologie oui, mais à la traîne sur les questions sociétales ! Les droits des personnes LGBTQ+ sont niés, et l’égalité femmes-hommes, bien qu’en progrès sur le papier, se heurte à des réalités discriminatoires, un paradoxe pour une puissance qui se veut moderne. Et ce n’est pas prêt de changer, étant donné que Xi a pris un tournant très conservateur depuis son arrivée au pouvoir.
Le mariage homosexuel n’est pas autorisé, WeChat ferme les comptes de membres de la communauté LGBTQ+, les relations homosexuelles sont assimilées à des “relations anormales”, les Prides sont interdites, les centres LGBT et les bars gays ont fermé, et le fait de s’afficher ouvertement est mal vu.
“Si la Chine ne condamne plus l’homosexualité depuis 1997 [et elle n’est plus considérée comme une maladie mentale depuis 2001], son acceptation reste encore très aléatoire au sein de la société.” Leplâtre, Simon. Chengdu, une oasis de liberté dans l’empire du Milieu. Simon Leplâtre. Novembre 2024. Le Monde
La propagande semble très efficace et freine l’évolution des mentalités comme le montrent les réponses aux questions de la World Values Survey : 71% des interrogés ont mentionné l’homosexualité comme raison de ne pas accepter des voisins (59% pour les moins de 29 ans et 70% pour 30-49 ans).
Heureusement, certaines villes plus éloignées de la côte, comme Chengdu, offrent du répit à la communauté LGBT : elles sont plus souples, l’homosexualité y est mieux acceptée, comme en témoigne la description de Simon Leplâtre : des “oasis de liberté dans l’empire du Milieu”.
Les contenus féministes sont eux aussi censurés. Le mouvement #metoo n’a eu aucun écho en Chine alors que certaines femmes ont tenté de dénoncer des viols par des hommes influents, jamais inquiétés. Si l’on peut voir de plus en plus de femmes occuper des postes importants dans les entreprises, elles sont exclues de la sphère politique : seulement 30% des membres du PCC sont des femmes et aucune n’occupe de siège au Bureau Politique depuis l’instauration d’un conservatisme ambiant par Xi. Le message est clair : les femmes sont mieux à la maison à s’occuper des enfants dans un contexte de déclin démographique qui pose de lourds problèmes économiques. Les résultats de l’étude de World Values Survey sont aussi éloquents sur le sujet des femmes : si elles sont mieux acceptées en entreprise, encore 50% des interrogés considèrent que les hommes font de meilleurs dirigeants politiques qu’elles (39% pour les moins de 29 ans, 50% pour les 30-49).
En ce qui concerne l’avortement et les moeurs, les mentalités sont encore conservatrices : pour 61% des participants, l’avortement n’est jamais justifié (55% pour les moins de 29 ans, 63% pour les 30-49), et pour 80% d’entre eux, le sexe occasionnel n’est jamais admissible (tout âge confondu).
Contrôle extrême, utilisation des données, répression des opposants, maltraitance des minorités, conservatisme, qu’en pensent vraiment les Chinois ? La révolution et la remise en question du modèle sont-elles possibles ?
Le Pacte accepté sous certaines conditions
On peut certes expliquer l’absence de protestations par les mesures de répression de plus en plus intransigeantes et par la peur qu’elles inspirent. Mais tous les observateurs et analystes s’accordent à dire qu’il serait faux d’imaginer que la majorité cherche à se révolter mais ne le peut pas. Les raisons qui expliquent l’acceptation du Pacte sont plus complexes et multiples.
Croire que la majorité silencieuse est en colère contre Xi Jinping est une illusion d’optique. Licot, Emmanuel. Xi Jinping, le président chinois qui était beaucoup moins populaire que ce qu’il semble croire. Février 2024. Atlantico.
Succès de la propagande et de la censure
Il est bien sur extrêmement difficile d’évaluer l’opinion publique en Chine puisque la répression mène inévitablement à la méfiance et à l’autocensure. Mais il est aussi probable que la propagande et la censure soient parvenues à ancrer profondément le système de valeurs du PCC dans les mécanismes de pensée des Chinois. L’ordre est la seule réponse possible au chaos inéluctable pour une nation aussi peuplée. La Chine est bien une démocratie, le PCC a seulement adapté le concept pour s’éloigner des valeurs néfastes occidentales qui n’ont pas à être universelles.
Les médias étrangers, qui pourraient provoquer la remise en question des vérités établies, sont certes difficiles d’accès, mais pas hors de portée. Un simple vpn permet facilement d’accéder au Monde par exemple. Tout porte donc à croire qu’une grande partie de la population n’est même pas curieuse de la presse étrangère tant elle est convaincue que les idées occidentales sont soit non pertinentes soit nocives.
Il ne faut pas non plus oublier que beaucoup de faits sont cachés et que la majorité, coupée des informations extérieures, ignore sincèrement certains aspects de son histoire. Par exemple, le massacre de la Place Tiananmen est complètement tabou et sa mention sur les réseaux est censurée, ce qui explique que très peu de jeunes sont conscients de l’horreur de cet événement. De même, les camps de travail forcés dans le Xinjiang sont tus : les ouïghours sont des terroristes qui menacent très sérieusement la sécurité du pays.
De nouveau, les résultats de l’étude de la World Values Survey montrent bien que les interviewés sont convaincus de leur système. Les répondants chinois estiment à 90% que le système politique démocratique est très bien ou plutôt bien, démontrant surement leur croyance d’en avoir un. De plus, un dirigeant fort ou un pouvoir exercé par l’armée dérangent moins que pour les Américains et les Allemands.
Un réel enrichissement et de meilleures conditions de vie
Souvenez-vous des termes du contrat social entre le PCC et les Chinois : le contrôle, la surveillance et les objectifs imposés sont le seul moyen d’assurer l’enrichissement collectif et une meilleure situation matérielle. Après des années traumatisantes d’extrême pauvreté et de famines, il est compréhensible que les Chinois soient sensibles à l’argument. “Aucun n’a la nostalgie des années Mao” (Emmanuel Licot.Février 2024. Atlantico.). Même si le modèle économique Chinois n’a pas vocation à voir augmenter les salaires ni à assurer des prestations sociales, une grande majorité de Chinois est sortie de l’extrême pauvreté grâce aux programmes de Xi Jinping et le niveau de vie des Chinois a connu une hausse significative depuis la libéralisation économique.
Les programmes anti-corruption mènent aussi les Chinois à penser que Xi est honnête dans sa volonté d’améliorer leur vie et ils apprécient aussi grandement les investissements publics en urbanisme qui ont véritablement embelli les villes, désormais lieux propres, agréables et moins pollués.
Fierté nationale
On peut également imaginer que la plupart des Chinois sont désormais convaincus par le discours autour du retour en force de la Chine sur la scène internationale après le siècle de l’humiliation dont on leur parle tout le temps. Au-delà de la propagande efficace, émigrer aux États-Unis ou en Europe ne fait plus rêver les Chinois : même si tout n’est pas parfait chez eux, ce n’est pas mieux ailleurs. Pourquoi le serait-ce ? Les États-Unis sont désormais un pays fracturé dirigé par le très contesté Donald Trump et l’Europe, qui reste attractive pour le tourisme, est désormais un continent vieux, piégé par son système social, à qui l’on vend du matériel de pointe.
La technologie, synonyme de sécurité et de praticité
Dans son livre Living with Digital Surveillance in China : Citizens’ Narratives on Technology, Privacy and Governance publié en 2019, la chercheuse Ariane Ollier-Malaterre expose les résultats d’une étude menée en Chine auprès de 58 personnes avec qui elle a longuement discuté. Elle relate que les participants louent la surveillance, toujours dans cette idée légiste que l’homme est mauvais de nature (plus de détails sur le légisme ici, dans l’article sur la doctrine de Xi Jinping). Ils estiment que le gouvernement est là pour s’assurer que la population se comporte de manière décente et que la technologie est un outil indispensable pour y parvenir.
“J’ai constaté que de nombreux participants voient la surveillance comme indispensable pour remédier aux problèmes de la Chine. […] « civiliser » la population permettra à la Chine de gagner la reconnaissance internationale qu’elle désire ardemment.” Ollier-Malaterre, Ariane. La surveillance numérique est omniprésente en Chine. Voici comment les citoyens y font face. Mars 2014. The Conversation.
Ariane Ollier-Malaterre parle tout de même de frustration et de colère, toutefois étouffées par des techniques mentales telles que la minimisation, le déni, la croyance que seules les mauvaises personnes sont concernées ou encore la fatalité. C’est comme ça, autant l’accepter.
Les résultats de l’étude de la World Values Survey montrent également que les Chinois semblent plus enclins à accepter la surveillance par la technologie et l’estimer synonyme de praticité. Nous l’avons vu plus haut, les applications sont très utiles, et sont utilisés par tous même dans les zones très rurales, facilitant grandement la vie.
Une population peu politisée
Selon Frédéric Lemaître, peu de Chinois sont capables de citer les 7 membres du Comité Permanent du Comité central du Parti communiste chinois (PCC), ce qui montre le peu d’intérêt que parait porter la population aux questions politiques. Les temps politiques étant très longs et les élections inexistantes, il n’est pas si étonnant que les Chinois s’en soucient peu. Le peuple n’est appelé aux urnes que pour des élections locales, contrôlées par le Parti. Qui plus est, Xi Jinping a fait amender la Constitution en 2018 pour rendre illimité le nombre de mandats. Cette tendance peut donc peut-être aussi s’expliquer par le même fatalisme que nous observions plus haut à propos des technologies : peu de signes présagent un changement de régime prochainement, autant s’y habituer.
Un pays disparate
Nous aurions tort d'imaginer que le peuple Chinois est un tout homogène. Comme nous l’avons vu dans l’article n°6 sur la Grande Nation Chinoise, la Chine est composée de 56 ethnies. Qui plus est, c’est un pays immense : 5000 km entre Shanghai et Kashgar dans le Xinjiang, soit 5 fois la taille de la France Nord-Sud. Un magnat de la finance de Shanghai n’a donc absolument pas la même vie et a très peu de chance de rencontrer un jour un restaurateur musulman de Kashgar (Xinjiang). Il est donc peu probable qu’il risque la prison en se révoltant contre la répression des ouïghours qu’il considère comme des terroristes, du fait de la propagande.
“Pour eux, le Xinjiang est un monde à part. “Les gars d’ici ne sont pas vraiment comme nous. On dirait des Afghans” m’a confié un Shanghaïen, croisé à Kachgar (ville du Xinjiang). Lemaître, Frédéric. Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping. 2024. Tallandier. p201.
Il est extrêmement difficile de mesurer le mécontentement et l’opinion de la population, de nombreux Chinois aimeraient probablement plus de démocratie dans leur pays. Mais les éléments ci-dessus peuvent expliquer pourquoi nous n’entendons pas parler de réseau de résistance et que les analystes s’accordent à dire qu’il est peu probable qu’on assiste à un changement de régime prochainement. Certains éléments pourraient toutefois le faire vaciller et mettre Xi Jinping dans une position délicate, notamment à cause de la pandémie de la Covid-19 et des tensions géopolitiques actuelles. Peut-être la pression du résultat et la détresse de la jeunesse ?
Le modèle de Xi Jinping peut-il être remis en question ?
Pression intenable du résultat
9h-21h, 6 jours par semaine, une semaine de vacances par an, voici la signification du fameux “996” qui décrit le rythme de travail de la grande majorité des Chinois. Comme le montre le volume horaire en Chine sur le graphique ci-contre, les Chinois sont habitués à travailler beaucoup, plus que les autres pays du monde. Et ce travail paie moins que dans les autres pays : le PIB par habitant est bien plus bas qu’aux États-Unis et dans les pays européens.
Les résultats de la World Value Survey vont aussi dans ce sens, le rapport est quelque peu différent en Chine :
Ancrage culturel ou pression ambiante ? Les objectifs quinquennaux ou décennaux très ambitieux (Made in China 2025, transition écologique des provinces, objectifs de croissance sur 5 ans…), la mise en compétition des provinces, la présence des membres du Parti dans les conseils d’administration, la quasi-inexistence d’assurance chômage, sont autant d’éléments expliquant la pression quotidienne que subissent les travailleurs chinois et le zèle dont ils font preuve.
Mais l’augmentation du chômage due aux droits de douane imposés par les États-Unis, le ralentissement de la croissance, les effets de la crise immobilière ne risquent-ils pas à terme de profondément entraver la motivation et de provoquer des tensions sociales ?
Dans un contexte de remise en questions du volume d’exportations, les dirigeants chinois cherchent à relancer la consommation grâce à des mesures de réduction du temps de travail. Mais Hao Nan, chercheur associé à l’Institut Charhar, un think tank chinois, explique que les salariés sont méfiants et que la concurrence est trop forte pour ralentir le rythme :
« La concurrence excessive incite à faire toujours plus d’efforts, même quand les résultats sont de moins en moins significatifs » Madec, Manon. Travailler moins pour consommer plus : la nouvelle stratégie de la Chine pour relancer son économie. Juin 2025. Alternatives Économiques.
La détresse de la jeunesse
La jeunesse est particulièrement touchée par le ralentissement de la croissance et la hausse du chômage : aujourd’hui 16% des jeunes sont au chômage, et ce chiffre sous-estime la vérité. Ceux-ci sont d’autant plus frustrés que dès leur plus jeune âge, ils ont subi une pression inimaginable pour réussir :
“L’éducation est une compétition sans merci à laquelle les enfants, mais aussi leurs parents, n’ont d’autre choix que de se soumettre […] Selon une étude non officielle, mais réalisée par un centre de recherche universitaire, 24% des jeunes Shanghaïens auraient envisagé de se suicider, 15% y auraient sérieusement réfléchi et 1,7% seraient passés à l’acte? Raison invoquée pour 46% d’entre eux : la pression des études.” Lemaître, Frédéric. Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping. 2024. Tallandier. p168
Après des années d’études très dures, les jeunes se retrouvent donc sans travail, de quoi en désespérer plus d’un…
Une jeunesse frustrée au chômage et une pression intenable dans une situation de ralentissement de la croissance sont deux éléments qui pourraient un jour remettre en question le Pacte politique du PCC. Ils viennent s’ajouter à une crise de la dette et du secteur immobilier qui pourraient aussi fragiliser l’économie chinoise.
En dépit de ces éléments, il est tout de même peu probable que le système chinois s’effondre et tout laisse présager que la place de 1ère puissance mondiale est à la portée de l’Empire du Milieu.