2013 - 2025
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“Ça ne sert à rien de faire des efforts si la Chine n’en fait pas, t’as vu combien ils sont et combien ils émettent !” Il est vrai que la Chine est le plus gros émetteur de gaz à effet de serre au monde, ses émissions sont en hausse et sont plus importantes que celles des pays occidentaux, même pendant les révolutions industrielles. Néanmoins, Xi Jinping a promis d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060 et la notion de “civilisation écologique” fait partie de la Constitution depuis l’amendement de 2018. Stratégie politique et géopolitique ou sincère inquiétude, peu importe, il est faux de dire que la Chine ne fait rien, elle est même devenue le premier investisseur et producteur d’énergies renouvelables.
Le plus gros pollueur de la planète, “l’addiction au charbon”
La Chine représente aujourd’hui 33% des émissions de CO2 mondiales, loin devant les États-Unis (13%), l’Union Européenne (8%) et l’Inde (7%). Certes, en tant qu’économie exportatrice, elle émet pour produire des produits manufacturés destinés aux marchés européen et américain. On peut alors argumenter qu’une bonne partie des 33% devrait être attribuée aux autres pays. Mais étant donné l’augmentation de la consommation intérieure, les chercheurs assurent que la Chine pollue aussi énormément pour elle-même. (Monjon, Stéphanie. Wakim, Nabil. Ponticelli, Adèle. 2023. La Chine peut-être réussir sa transition climatique ?. Chaleur Humaine. 2023. Le Monde.)
Emissions annuelles de CO2 par région du monde. Source : OurWorldinData | DataSource : Global Carbon Budget (2024)
La raison principale de ces très hautes émissions réside dans la dépendance au charbon sur laquelle la Chine a basé sa croissance économique et qui reste la principale source d'énergie du pays. Cette tendance ne va pas en s’améliorant : la demande en énergie est telle que le volume produit à partir du charbon ne fait qu’augmenter. Toutes les deux semaines, deux constructions de centrales thermiques à charbon sont validées, une véritable catastrophe écologique !
Le graphique ci-dessous montre l’ampleur du charbon dans le mix énergétique de la Chine par rapport aux autres pays. On remarque également que la Chine consomme une quantité d’énergie bien supérieure à celle des autres puissances, et la tendance est clairement à la hausse.
Mais l’ambition de devenir une “civilisation écologique”
La Chine a promis d’atteindre son pic d’émission en 2030, la neutralité carbone d’ici 2060 et l’objectif de rendre la Chine écologique est désormais inscrit dans la Constitution depuis l’amendement de 2018. Comment Xi Jinping pense-t-il réellement l’écologie ? Stratégie politique pour maintenir son pouvoir ? Opportunité économique pour dominer le monde ? Sincère inquiétude quant à la chute de la civilisation humaine (et pour lui “humaine” signifie “chinoise”) ? Difficile à dire, mais il est certain que le sujet est devenu une priorité.
L’écologie comme élément central du discours de Xi Jinping
Pourquoi Xi Jinping se préoccupe-t-il tant de la situation environnementale ? Beaucoup d’autres dictateurs ne s’y intéressent pas ou sont même climatosceptiques.
L’hypothèse de la sincérité du Président chinois dans la peur des conséquences du changement climatique sur l’humanité est très plausible : il est intelligent, il croit à la science, il voit les chiffres et la situation.
Il est aussi important de rappeler que les catastrophes naturelles ont une signification mystique séculaire dans la culture chinoise : elles sont le message du Ciel que le souverain est en passe de perdre le Mandat (cf - le Mandat du Ciel dans l’article n°1). Xi Jinping a donc tout intérêt à ce qu’il n’y ait pas trop d’intempéries ! D’autant plus qu’il sent monter l’indignation de la population, surtout après la révélation de plusieurs scandales sanitaires impliquant des entreprises publiques et des gouvernements locaux.
Xi Jinping utilise alors la question écologique avec une grande habilité, celle-ci est même une “aubaine politique” selon Andrée Clément (L’écologie politique aux caractéristiques chinoises, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2021, p121-127.). Xi Jinping ose même parler en 2018 de sobriété et de baisse de la consommation, ce qui est d’un premier abord plutôt étonnant.
“Nous devons promouvoir un mode de vie vert et bas carbone, fondé sur la modération et la frugalité, à l’opposé d’un consumérisme extravagant et injustifiable […]” Discours Xi Jinping, Pushing China’s Development of an Ecological Civilization to a New Stage. 2019.
En effet, on se souvient que la stabilité du pouvoir centralisé du PCC repose sur l’enrichissement collectif et l’élévation du niveau de vie de la population. Un discours brut autour de la sobriété pourrait mettre en cause ce contrat : pas d’enrichissement, pas de pouvoir… Sauf que Xi Jinping sait que le ralentissement de la croissance et l’impossibilité de compter éternellement sur un système économique basé sur l’exploitation de ressources naturelles et une main d’oeuvre peu chère vont certainement remettre un jour ce contrat en question un jour. Xi Jinping est alors très stratège. Il utilise le problème climatique pour modifier le contrat et maintenir la légitimité du Parti : mieux qu’un garant de la croissance, le Parti devient le seul capable de conduire la transition écologique de manière pragmatique. Les mesures autoritaires sont d’autant plus justifiées puisqu’il s’agit de la préservation de l’espèce. La lutte des classes devient…la lutte pour la préservation de l’environnement. (Clément, Andrée . L’écologie politique aux caractéristiques chinoises, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2021, p121-127.)
De plus, des progrès en matière écologique prouveraient l’efficacité et le prestige des régimes autoritaires par rapport aux régimes démocratiques, soit une victoire de plus sur l’Occident. Une pierre, deux coups…
Si vous avez lu l’article sur l’idéologie de Xi Jinping, vous avez compris que ce Président a le sens du discours pour faire adhérer les foules à ses idées. Ce n’est pas différent dans le cas de l’écologie puisqu’il introduit le sujet dans sa réthorique de fierté nationale et le corrèle directement au rêve chinois.
Et pour convaincre la population, Xi Jinping utilise comme à son habitude ses qualités de narrateur. Par exemple, dans son discours lors de la Conference sur la Protection Environnementale en mai 2018, Xi Jinping fait un petit mélange de l’histoire impériale et communiste pour inscrire le respect de la nature dans l’héritage millénaire chinois (cf extraits des discours ci-dessous). Oeuvrer pour l’écologie revient donc à perpétuer cet héritage et rester une culture supérieure : une technique imparable pour enthousiasmer la population, la convaincre de la nécessité des mesures autoritaires et même instaurer un climat où tout le monde est surveillé et tout le monde surveille les autres : “l’édification de la civilisation écologique est étroitement liée à chaque individu, qui doit en être un partisan et un promoteur” X. Jinping. 2014. La gouvernance de la Chine, tome 2.
Extraits du Discours de Xi Jinping à la Conférence Nationale sur la Protection Environnementale en mai 2018 :
“Construire une civilisation écologique est vital au développement de la nation Chinoise. Le peuple chinois a toujours vénéré et aimé la nature, et la civilisation chinoise, vieille de 5000 ans, comporte une riche composante culturelle écologique.”
“Les concepts environnementaux ont été élevés au rang d'institutions d'État en Chine très tôt dans l'histoire. […] Sous les dynasties Qin (221-206 av. J.-C.) et Han (206 av. J.-C. - 220 ap. J.-C.), des fonctionnaires distincts étaient responsables des forêts, des rivières, des rivages, des jardins et des terres agricoles, et le système des gardiens a perduré jusqu'à la dynastie Qing.[…] Marx et Engels pensaient que « l'homme vit de la nature » et que les humains produisent, vivent et se développent grâce à leurs interactions avec la nature.”
Les discours de Xi Jinping semblent convaincre la population chinoise de l’importance de l’action écologique puisqu’en 2018, 68% des répondants à l’étude menée par l’agence internationale World Value Survey (Wave 7 2017-2022) estimaient que la protection de l’environnement devrait être une priorité contre 63% des Allemands et 50% des Américains.
Menant tout droit au totalitarisme vert ?
Dans le but de faire de la Chine une “civilisation écologique”, Xi Jinping réorganise les instances en charge de faire appliquer les directives écologiques. Cette réorganisation permet de centraliser le pouvoir entre ses mains et de pressuriser de manière verticale les gouvernements locaux et les entreprises. Il contrôle également le débat public sur Internet en donnant l’illusion à la population d’être active.
Cette centralisation du pouvoir repose sur quatre leviers :
- Les plans quinquennaux. Ils intègrent des objectifs écologiques, tels qu’un pourcentage de réduction de la consommation d’énergies fossiles ou une part minimale de surface forestière à préserver au niveau national. Ces objectifs sont ensuite déclinés à l’échelle locale : les gouvernements locaux ont l’obligation de fixer leurs propres cibles en cohérence avec les orientations nationales, et de définir un plan d’action adapté à leurs enjeux spécifiques et à leurs ressources disponibles.
- Les équipes centrales d’inspection. Relevant du Parti communiste, ces entités, composées de hauts fonctionnaires relevant directement du PCC, experts en protection de l’environnement, sont chargées de superviser et d’évaluer l’action des gouvernements locaux afin de vérifier la réalisation des objectifs fixés. En cas de manquement, les sanctions peuvent être sévères, allant de rétrogradations à des amendes infligées aux cadres en poste.
- L’implication des citoyens grâce à Internet : “L'émergence de microblogs environnementaux gérés par le gouvernement, de comptes WeChat, de plateformes de signalement et de lignes d'assistance téléphonique a fortement stimulé l'enthousiasme du public à contribuer à la surveillance et au signalement des entreprises polluantes. […]. (Monjon Stéphanie, René Élodie, Les nouveaux outils de gouvernance environnementale en Chine : contrôle descendant et crédit environnemental, sept. 2021, 138-146.). Mais l’utilisation d’Internet est aussi une bonne manière pour contrôler le débat public autour de l’écologie, identifier les internautes trop virulents et les sanctionner.
- Le Système de Crédit Environnemental des entreprises. Ce système permet aux gouvernements locaux - et, dans une moindre mesure, aux citoyens - d’évaluer et de classer les entreprises selon le niveau de pollution de leurs activités. Une notation de A à D est attribuée : les entreprises les mieux notées peuvent bénéficier de financements et accéder à des marchés publics, tandis que celles mal classées font l’objet de contrôles renforcés ou de restrictions.
*Le système de Crédit Social fait beaucoup fantasmer en Europe, il est facile de nous imaginer une société à la Black Mirror, je reviens sur le sujet dans l’article n°10 sur l’opinion des Chinois.
Ce système de gouvernance écologique, très verticalisé, a des résultats notables - comme nous le verrons dans le paragraphe suivant - mais il est fréquemment qualifié d’autoritaire. Le schéma ci-dessus illustre clairement la forte pression exercée sur les cadres locaux du Parti ainsi que sur les entreprises, qui doivent atteindre des objectifs environnementaux souvent couplés à des objectifs de croissance économique. Une conciliation entre ces deux impératifs s’avère parfois difficile. Les sanctions en cas de manquement sont particulièrement dures et prennent une dimension personnelle. Les cadres sont évalués en fonction des résultats obtenus et peuvent être brutalement démis de leurs fonctions à la suite d’un contrôle des CEIT (Équipes Centrales d’Inspection relevant du PCC). Les entreprises, quant à elles, sont soumises à une forte pression de la part des gouvernements locaux. Si une coopération existe dans certains cas pour atteindre les cibles nationales, ces autorités disposent également d’un pouvoir coercitif important : elles peuvent ordonner la fermeture immédiate d’une entreprise, infliger des amendes lourdes à ses dirigeants, voire les faire incarcérer.
Ce climat de pression extrême donne parfois lieu à la falsification des données ou à de la corruption. Par exemple, certains pouvoirs locaux surnotent les entreprises de leur ressort géographique : en 2021, à Shenzhen, 13,3 % des entreprises auditées étaient sur liste verte, 90 % sur liste bleue, 7,1 % sur liste jaune et 1,4 % sur liste noire (Stéphanie Monjon, Élodie René. Les nouveaux outils de gouvernance environnementale en Chine : contrôle descendant et crédit environnemental. Sept 2021. p138-146. Groupes d’études géopolitiques). Ces chiffres sont peu crédibles étant donné la pollution de la zone, on peut donc questionner la fiabilité des résultats affichés de la Chine en matière de performance écologique.
Et des initiatives à grandes échelles
Mais ce système autoritaire et imparfait a tout de même des résultats visibles : les initiatives prises en Chine depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping portent leurs fruits. Les plus probantes sont l’augmentation considérable des énergies renouvelables et l’amélioration impressionnante des espaces urbains.
Investissements massifs dans les énergies renouvelables
Paradoxal mais vrai ! Malgré l’addiction au charbon qui fait de la Chine le plus gros pollueur de la planète, elle n’en reste pas moins le plus grand producteur d’énergie verte. En 2023, la Chine représentait plus de 50 % des nouvelles capacités d’énergies renouvelables dans le monde.
Certes, la part des énergies vertes dans le mix est plus faible que celui de l’Union Européenne (16% pour la Chine, 22% pour l’UE) mais cette part tend à augmenter grâce à des investissements massifs accordés aux technologies et aux industries vertes (538 mds en 2022).
Les graphiques suivants permettent également une lecture intéressante des progrès de la Chine. On remarque d’abord que les Chinois ont une consommation d’énergie par habitant inférieure à celle des États-Unis et de l’Union Européenne. À moins de concevoir qu’un européen ou un américain serait en droit de consommer plus qu’un chinois, il est donc techniquement faux de dire que les Chinois consomment plus que les pays occidentaux. De plus, on observe qu’entre 2010 et 2023, la part de la consommation d’énergie renouvelable et nucléaire par habitant a augmenté, et plus vite qu’aux États-Unis et en Union Européenne.
Des villes plus vertes et silencieuses
Pendant longtemps, l’image des villes chinoises était associée à un épais brouillard gris, irrespirable et opaque, symbole d’une pollution extrême. Pourtant, la situation a profondément évolué ces dernières années : l’indice de pollution de l’air a considérablement diminué. Bien que la qualité de l’air reste imparfaite, les villes sont aujourd’hui bien plus vivables, notamment depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, un progrès pour lequel de nombreux Chinois lui sont sincèrement reconnaissants.
Ces progrès sont le résultat de trois facteurs principaux :
1.L’aménagement d’espaces verts.
Si vous allez à Shanghai, je vous conseille de visiter le Musée de l’urbanisme qui détaille les projets du plan quinquennal en cours et les objectifs à atteindre d’ici 2035. On y voit clairement que les espaces vert sont au programme et qu’il sont censés représenter la majorité de l’espace.
On reconnait bien là les tournures de propagande du PCC mais de nombreux témoignages et l’indice de pollution de l’air attestent de réels progrès.
“Les efforts réalisés par la Chine ces dernières années sautent aux yeux. Après avoir fait rimer modernisation et bétonisation durant trois décennies, les responsables se rendent compte que les citadins ont autant besoin d’espaces verts que de centres commerciaux. […]. Lemaître, Frédéric. Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping. 2024. Tallandier. p202. p81.
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2.Les voitures électriques. Aujourd’hui, plus de 20 millions de véhicules électriques, soit 91% du parc total chinois, sont en circulation. Nous avons là un bel exemple de la manière dont l’État est intervenu pour faire exploser le secteur et imposer la transition.
Comment s’y est-t-il pris ?
D’abord, le secteur des véhicules électriques a reçu un soutien étatique financier massif. Dès 2009, la Chine a lancé un programme national « Ten Cities, Thousand Vehicles », ciblant d'abord les flottes publiques (taxis, bus) avec des subventions élevées (jusqu’à 60 000 ¥ par voiture, 100 000 ¥ par bus). Les constructeurs de voitures électriques et de batteries tels que BYD et SAIC (n°1 chinois) sont également sponsorisés par l’État : ils ont reçu respectivement 1,78 milliards de ¥ et 2 milliards de ¥ en 2023. Les consommateurs aussi reçoivent des subventions à l’achat allant jusqu’à 60 000 ¥ (≈ 7 600 €), cumulées à des aides locales et exonération de TVA ou de 10 % de taxe sur les voitures électriques.
Mais ce qui a vraiment changé la donne, ce sont les initiatives des municipalités, motivées par les objectifs quinquennaux de réduction de pollution très ambitieux imposés par le Parti.
Par exemple, Shanghai favorise l’électrique dans son attribution de plaques d’immatriculation. À Shanghai, le niveau de motorisation est telle que les habitants sont tenus de déposer une demande pour obtenir une plaque d’immatriculation, sans laquelle ils ne peuvent pas se déplacer. Pour les véhicules thermiques, l’obtention de cette plaque est très longue, le délai peut atteindre plusieurs années. Elle peut aussi parfois s’obtenir grâce à des mécanismes de loterie ou aux enchères, faisant monter les prix jusqu’à 12 à 13,000€ !
En revanche, les plaques pour des voitures électriques sont attribuées gratuitement et rapidement. Elles donnent droit à une circulation 7j/7, accès à des voies prioritaires et à des parkings gratuits. Ces dispositifs se sont révélés les plus efficaces, surpassant largement les simples aides à l’achat. Imaginer de telles règles en France nous parait tout à fait impossible !
Parallèlement, de nombreuses bornes de recharge publiques ont été installées (1,8 million de bornes en 2023, soit 14 x plus qu’aux États-Unis en proportion de la population) et l’extension du réseau de trains à grande vitesse a réduit l’anxiété liée à l’autonomie, cantonnant l’utilisation automobile aux déplacements locaux et quotidiens.
3.Des projets de Smart City efficaces. Face à une urbanisation galopante, des embouteillages chroniques et une pression croissante sur les ressources naturelles, les villes chinoises cherchent depuis plusieurs années à se transformer en villes intelligentes. Pour cela, elles ont massivement recours aux technologies numériques, en particulier à l’intelligence artificielle et à la collecte de données à grande échelle. C’est dans ce contexte qu’a émergé le projet City Brain, développé par Alibaba Cloud, une des entreprises technologiques les plus puissantes de Chine. Lancé en 2016 par Alibaba, City Brain est une plateforme d’intelligence artificielle destinée à analyser en temps réel des flux massifs de données urbaines. Elle s’appuie sur un vaste réseau de caméras de surveillance, de capteurs connectés, d’images satellites, et de données administratives pour modéliser le fonctionnement d’une ville et prendre des décisions automatisées. L’objectif est de rendre la ville plus fluide, plus efficace, et plus adaptée aux besoins de ses habitants. Parmi les nombreux domaines d’application de City Brain, deux axes se distinguent par leur impact direct sur le quotidien des citadins et sur le développement durable des métropoles :
- L’optimisation du trafic routier. Grâce à l’analyse en temps réel des images vidéo et des flux de circulation, City Brain est capable de détecter automatiquement les embouteillages, réguler dynamiquement les feux de circulation pour fluidifier le trafic, faciliter le passage des ambulances et des pompiers et réduire le temps de trajet, le stress des automobilistes, et la consommation de carburant. Cette optimisation contribue directement à la réduction des émissions polluantes.
- La gestion écologique des services urbains. City Brain permet également une supervision intelligente des services publics : surveiller en continu l’état des réseaux d’eau et d’électricité, détecter les fuites ou les sur-consommations, optimiser la collecte des déchets selon la fréquentation des quartiers, améliorer l’efficacité énergétique des infrastructures. Ces fonctionnalités favorisent une utilisation plus sobre et responsable des ressources naturelles, tout en contribuant à une meilleure qualité de vie pour les habitants.
Le projet a été initialement mis en œuvre à Hangzhou, ville d’origine d’Alibaba, avec des résultats jugés très positifs : réduction du temps de trajet, meilleure réactivité des secours, et baisse des infractions routières. Fort de ce succès, des dizaines de villes chinoises ont adopté City Brain, dont Shanghai, Suzhou, Guangzhou ou Macao. Le projet a également franchi les frontières, avec un début d’expérimentation à Kuala Lumpur en Malaisie, preuve de l’intérêt croissant pour cette solution à l’échelle internationale.
Mais City Brain suscite de nombreuses inquiétudes. Le système repose sur des millions de caméras et un traitement massif de données personnelles, souvent sans consentement explicite. La frontière entre sécurité et surveillance devient floue. Les technologies sont couplées à des systèmes de reconnaissance faciale et les décisions prises par l’IA (comme modifier les cycles de feux rouges ou prioriser certains quartiers) sont souvent opaques.
Dominer le monde grâce à l’écologie : du business et une stratégie géopolitique
Dans La Révolution Obligée (Allary, 2024), David Djaïz et Xavier Desjardins expliquent la différence de vision entre la Chine et l’Union Européenne vis-à-vis de l’écologie. Lorsqu’en Union Européenne, les mesures écologiques, pour la plupart à caractéristiques normatives, provoquent des réactions crispées, la Chine y voit une opportunité pour dominer le monde. L’écologie est en effet complètement intégrée à la stratégie de Xi Jinping pour atteindre son objectif de devenir première puissance mondiale d’ici 2949. (Vous saurez tout de cette stratégie en lisant le prochain article : n°8 - L’ambition assumée de la 1ère place pour 2049 et d’un monde post-occidental).
“Depuis plus de vingt ans, la Chine a saisi la transition énergétique comme une opportunité de devenir “l’atelier écologique du monde” Djaïz, David. Desjardins, Xavier. La Révolution Obligée. 2024. Allary. p111.
De quelles manières ?
- En 2015, Xi Jinping lance le programme Made in China 2025 qui vise à assurer la montée en gamme des produits d’exportations dans 10 secteurs grâce à des subventions massives (cf infographie Made in Chine 2025). Deux de ces secteurs concernent l’écologie : les véhicules électriques et la production d’énergie électrique. Dix ans, plus tard, le programme est un succès : la Chine assure 80% de la production des panneaux solaires mondiaux, 60% des éoliennes, 60% des véhicules électriques et a inondé les marchés européens de matériels photovoltaïques, jusqu’à provoquer l’effondrement de cette industrie localement (cf article n°9 : Quels impacts et quelles solutions pour les Etats-Unis et les Européens ?)
- La Chine, grâce à des partenariats avec des pays pauvres, émergents ou en développement sur fond de concept de “Sud Global”, sécurise ses approvisionnements en matières premières indispensables à la fabrication de matériel de production d’électricité et de batteries. “[La Chine] surexploite ces ressources : elle extrait 84% du tungstène mondial, 70% des terres rares et 14% du lithium. Mais surtout, elle a lancé une opération de maîtrise des chaînes d’approvisionnement via des investissements stratégiques et des partenariats avec des pays comme le Brésil, l’Argentine ou le République Démocratique du Congo”. Djaïz, David. Desjardins, Xavier. La Révolution Obligée. 2024. Allary. p115.
- Grâce au projet des Nouvelles Routes de la Soie, la Chine sécurise également l’acheminement du matériel grâce au déploiement de corridors, de ports, de routes partout dans le monde (cf article n°8).
Chine et écologie est donc un sujet qui présente beaucoup de contradictions : à la fois plus gros émetteur de CO2 au monde à cause de son addiction au charbon et premier investisseur dans les énergies renouvelables devenues outil d’influence mondiale, Xi Jinping fait du sujet une priorité et crée l’enthousiasme de la population en intégrant la cause à ses discours nationalistes.
Les points à retenir
- Si la Chine est le plus gros émetteur de CO2 au monde à cause du charbon, elle ambitionne de devenir une "civilisation écologique" et d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2060. Pour cela, Xi Jinping intègre l'écologie à ses discours de fierté nationale. Il met aussi en place un autoritarisme vert basé sur des objectifs quinquennaux écologiques imposés aux régions et aux entreprises.
- Des investissements massifs dans les énergies renouvelables et des projets urbains efficaces montrent la motivation du PCC et ont des résultats probants.
- L'écologie est aussi un moyen pour la Chine d'étendre son influence mondiale. Elle multiplie les accords avec des pays détenteurs de matières premières pour sécuriser ses approvisionnements en métaux critiques indispensables aux technologies de la transition. Elle inonde ensuite les marchés occidentaux de produits (comme avec le photovoltaïque en Europe dans les années 2010 par exemple).
Articles suivants
8 | L’ambition assumée de la 1ère place en 2049 et d’un monde post occidental9 | Quels impacts et quelles solutions pour les États-Unis et l’Europe ? 10 articles pour tout comprendre