1911 - 1976
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Si vous n’avez pas lu l’article sur les dynasties impériales, nous arrivons ici en 1911, à la chute de la dernière dynastie, les Qing. Les guerres de l’opium contre les puissances anglaises, françaises et américaines, les révoltes internes et le sentiment persistant d’être gouverné par des empereurs étrangers mandchous préparent le terrain à une révolution républicaine.
La République de Chine avant la République Populaire de Chine (1912-1937)
La révolution de Sun Yat-Sen, le « père fondateur » de la République de Chine.
Tout commence avec Sun Yat-Sen, celui qui mettra fin à 2000 ans de régime impérial.
Enfant de paysans chinois, Sun Yat-Sen émigre à Hawaï à l’âge de 13 ans. Il y mène une vie confortable grâce à son grand frère devenu marchand prospère. À 18 ans, il étudie à Hong Kong où il obtient son diplôme de médecin. Ces expériences expliquent son opposition au régime des Qing et inspirent ses ambitions pour son pays : « Chasser les étrangers [Mandchous et occidentaux], restaurer la Chine, fonder une république et redistribuer équitablement les terres ».
Modernisation alliant tradition, bien-être du peuple, indépendance et relatif pacifisme, ses idées font envie. Il rassemble les diverses révoltes locales, crée son parti, le Kuomintang, et proclame la République de Chine en janvier 1912. Il en est le premier président.
Si on en était resté là, la Chine se serait sans doute modernisée, peut-être démocratisée et aurait éradiqué sa pauvreté. Mais le XXème siècle sera bien plus sombre et meurtrier que ne l’espérait Sun…
Seigneurs de guerre et alliance avec le Parti communiste
Le problème de Sun Yat-Sen est militaire. Il ne contrôle pas l’armée, contrairement à Yuan Shikai, un puissant chef de guerre, proche des Qing. Pour assurer une transition pacifique, Sun Yat-Sen lui cède la présidence en échange de l’abdication de Puyi, l’empereur Qing, en février 1912. C’était un piège ! Yuan Shikai trahit les idéaux républicains, dissout le parlement et se proclame empereur à la place de l’empereur. Sun Yat-Sen fuit au Japon.
En 1916, Yuan Shikai meurt, il n’y a donc plus personne aux commandes : la Chine plonge alors dans l’ère des seigneurs de guerre (1916-1928). Différents généraux prennent le contrôle de régions entières et se disputent le pouvoir avec leurs propres armées. Pékin est sous l’influence de factions militaires successives, tandis que le sud reste sous le contrôle du Kuomintang de Sun Yat-sen, désormais basé à Canton.
Entre temps, la Première Guerre Mondiale (1914-1918) éclate, les Chinois restent neutres jusqu’à ce que la Triple Entente prenne l’avantage. En 1917, les seigneurs de guerre chinois s’allient à la France, à l’Angleterre et aux Russes dans l’espoir de récupérer les concessions allemandes accordées pendant les guerres de l’opium. Mais les vainqueurs et le Traité de Versailles cèdent ces concessions aux Japonais, c’est une humiliation de plus infligée par les occidentaux ! La haine grandit encore, cette injustice provoque la colère des Chinois qui manifestent en masse le 4 mai 1919, manifestations auxquelles Mao Zedong participe.
Dans l’espoir d’unifier le pays et de vaincre les seigneurs de guerre, Sun Yat-Sen s’allie avec le Parti Communiste Chinois (PCC) en 1923 et reçoit le soutien de l’URSS. Le PCC, qui s’inspire de la Révolution Russe de 1917, existe depuis sa fondation à Shanghai en 1921 et est soutenu par l’Internationale communiste russe, le Komintern. Les idées de Sun Yat-Sen et du Parti Communiste Chinois se rejoignent sur la volonté d’unifier la Chine, l’anti-impérialisme étranger et l’anti-monarchisme, ça ne fonctionne donc pas trop mal…pour l’instant.
En 1925, Sun Yat-Sen décède d’un cancer du foie. Tchang Kaï-shek s’impose comme son successeur officiel. Grâce à sa campagne militaire vers le nord (1926-28), il parvient à se débarrasser des seigneurs de guerre et à instaurer un régime nationaliste dont la capitale est Nankin.
Guerre civile, occupation japonaise et Seconde Guerre Mondiale (1927-1949)
Guerre civile et la Longue Marche
Si les communistes et les nationalistes avaient des intérêts communs lors de leur alliance, leur idéologie est fondamentalement opposée. Vision politique et économique, mais également objectif final, ils ne sont d’accord sur rien. Cette alliance ne pouvait donc pas durer et Tchang Kaï-shek ordonne le massacre des communistes en commençant par une purge à Shanghai en 1927 qui fera plus de 5000 morts. C’est le début de la guerre civile entre les nationalistes du Kuomintang et les communistes du Parti Communiste Chinois.
En 1928, le Kuomintang revendique le pouvoir sur toute la Chine et bénéficie de la reconnaissance internationale mais les communistes poursuivent la guérilla. Les bastions communistes finissent par se faire encercler jusqu’à la chute de la plus importante forteresse dans le Jiangxi en 1934. Mao Zedong accompagné de 130 000 hommes fuient et commencent la fameuse Longue Marche pour rejoindre la région du Shaanxi plus au nord qui durera un an et coûtera la vie à 100 000 hommes.
Le bilan aurait pu être moins grave si Mao n’avait pas repoussé au maximum la jonction avec le bastion du Shaanxi, et provoqué des combats inutiles avec les troupes nationalistes ou locales (Sichuan, Tibet) dans le but d’asseoir son pouvoir. Cette marche donnera à Mao la stature de héros, lui permettra de devenir le chef du PCC et restera un symbole très important de sa propagande.
L’invasion japonaise
Pendant que les nationalistes et les communistes se battent, les Japonais envahissent la Mandchourie en 1931 puis Pékin et le sud en 1937. Pour bien comprendre leurs motivations, il faut revenir à la situation au Japon à ce moment là.
En 1868, le Japon entre dans l’ère de la Restauration Meiji. Cette période est caractérisée par la restauration de la suprématie de l’empereur après l’ère Edo pendant laquelle le pouvoir était détenu par le shogun (chef guerrier). L’empereur est désormais considéré comme un descendant direct de la déesse shinto Amaterasu et vénéré comme un demi-dieu. Le Japon s’ouvre à l’international et s’industrialise, ce qui en fait une puissance militaire au début du XXème. Plus tard, il naît de ce culte de l’empereur un fort nationalisme, la croyance en la supériorité d’une race japonaise et ainsi une légitimité à envahir toute l’Asie.
Alliés des nazis, les japonais continueront leur expansion jusqu’à la la fin de la Seconde Guerre Mondiale et les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki.
L’invasion de la Chine est très violente, ce qui provoque une haine encore prégnante des Japonais. Le sac de Nankin (capitale de la République de Tchang Kaï-shek) est particulièrement connu pour son atrocité. Plusieurs centaines de milliers de soldats sont tués et on estime qu’entre 20 000 et 80 000 femmes et enfants ont été violés. Face à cette invasion, les forces nationalistes et communistes décident de s’unir pour combattre les Japonais, remettant leur querelle à plus tard.
La victoire des communistes et le repli des nationalistes à Taïwan
À la capitulation des Japonais en 1945, c’est de nouveau la guerre civile malgré les tentatives de pacification des États-Unis. Les combats reprennent et les communistes gagnent en 1949.
Tchang Kaï-shek bénéficiaient pourtant des aides américaines. Pourquoi ? Après l’échec des négociations, les américains se doivent de choisir un camp. Bien sûr, ce sont les prémices de la guerre froide, ils sont anti-communistes. Mais ils savent bien que Mao a plus de chances : Tchang Kaï-shek est un mauvais stratège, ne bénéficie pas du soutien de la population qui le tient pour responsable de l’hyperinflation due à la guerre contre les japonais et ses rangs sont corrompus. Ce sont ces éléments qui causeront la défaite des nationalistes qui fuient à Taïwan et y établissent la République de Chine en 1949.
Les États-Unis décident tout de même de le soutenir et l’une des raisons est Soong May-ling, madame Tchang ! Épouse de Tchang Kaï-shek mais pas que, brillante diplomate, charismatique et maitrisant parfaitement l’anglais, elle est l’une des raisons des liens politiques forts entre les États-Unis et la République de Chine (Taïwan).
Le choix des américains pour les nationalistes est très important puisque ce sera ainsi Taïwan (République Populaire de Chine) qui, à la fin de la guerre, siègera au Conseil de Sécurité des Nations Unis au côté des vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale et non la République Populaire de Chine de Mao. Cela donne lieu à une situation quelque peu absurde puisque la République Populaire de Chine représente alors environ 550 millions d’habitants et près de 10 millions de m2 alors que Taïwan seulement 7 millions d’habitants et 36 000 m2.
La place de la République de Chine (Taïwan) à l’ONU sera remise en question lors du rapprochement sino-américain dans les années 70 sous la présidence de Richard Nixon, expliquant la place actuelle de la Chine parmi les cinq membres permanents au Conseil de Sécurité.
La Chine de Mao Zedong (1949-1976) : un désastre
Le 1er octobre 1949, Mao proclame la fondation de la République Populaire de Chine depuis le balcon du Palais Céleste à Tiananmen devant des centaines de milliers de personnes. La période qui s’ensuit restera l’une des plus sombres de l’histoire de Chine provoquant la mort de dizaines de millions de personnes, et un vrai traumatisme pour des centaines de milliers de familles, dont celles de Deng Xiaoping et Xi Jinping, les futurs dirigeants.
Le contexte agité d’après-guerre : les années 50
Les premières années de la République Populaire de Chine sont marquées par un contexte international agité. Il y a d’abord les guerres d’Indochine (1946-1954) et de Corée (1950-1953), dans lesquelles Mao décide d’impliquer la Chine.
- En Indochine où la guerre fait rage entre la puissance coloniale française et les indépendantistes dirigés par Ho Chi Minh, l’implication est indirecte mais très importante sur le plan politique, militaire et logistique. Cette aide contribue grandement à l’indépendance du Vietnam.
- En Corée, ce sont 2 millions de soldats chinois qui vont combattre la Corée du Sud capitaliste soutenue par les États-Unis pour soutenir le régime communiste petit frère du Nord. Le but est principalement de montrer la puissance de la République nouvellement proclamée.
En Russie, Staline meurt en 1953. Bien que les deux hommes entretiennent une relation de méfiance mutuelle et de combat pour savoir qui sera le plus rouge, ils se rejoignent sur le plan idéologique. Khroutchev, le successeur de Staline, emprunte la voie de la déstalinisation en dénonçant les crimes de son prédécesseur et en libérant des prisonniers du goulag. Il se rapproche également des États-Unis et entreprend des réformes économiques.
Tout ceci ne plait pas du tout à Mao qui dénonce un manque d’esprit révolutionnaire et s’inquiète en observant les révoltes qui éclatent en Europe de l’est (RDA en 1953, Pologne et Hongrie en 1956). Les relations sino-russes se refroidissent complètement.
Dans le milieu des années 50, tout s’apaise plus ou moins à l’international, Mao est alors déterminé à s’occuper des affaires intérieures. Il veut convaincre le monde que la Chine peut redevenir une grande puissance et démontrer la force de son modèle communisme 100% made in China. D’autant plus que des révoltes paysannes et intellectuelles commencent à gronder et les membres du Parti doutent de sa capacité à diriger le pays. Il lui faut donc un projet radical !
Le Grand Bond en avant (1958 à 1960)
Il lance alors le programme du Grand Bond en avant qui vise à augmenter significativement la productivité de l’industrie et de l’agriculture. L’objectif est simple : rivaliser très rapidement avec les puissances industrialisées.
Concrètement, on regroupe, dès 1958, les coopératives rurales déjà existantes (pendant tout ce temps, ils avaient tout de même commencé la collectivisation). Chaque coopérative est désormais constituée de 5000 familles, soit une moyenne de 22 000 personnes : ce sont les communes populaires. Celles-ci se doivent d’être autosuffisantes et de remplir des objectifs irréalisables en matière de production agricole et industrielle. Elles ont notamment l’obligation de produire des quantités astronomiques d’acier, l’obsession de Mao, dans des fours de campagne artisanaux. C’est un désastre. Le climat n’aidant pas, les récoltes ne sont pas bonnes. L’acier est inutilisable car les paysans ne sont pas formés à le produire, d’autant plus qu’ils fondent leurs outils pour atteindre les objectifs inatteignables, ne conservant rien pour cuisiner ni récolter, aggravant ainsi la crise alimentaire.
Il faut imaginer ici un véritable enfer dans les campagnes dans lequel les populations sont obligées de manger des écorces d’arbres, il n’y a plus un seul animal et il semble qu’il y ait eu des cas de cannibalisme…Les chiffres varient mais le bilan est estimé entre 15 et 45 millions de morts. Terrible.
Face à cette catastrophe, Mao se met en retrait des questions économiques tout en restant président du Parti communiste chinois, donc toujours l’autorité suprême sur le plan idéologique. Il voyage beaucoup, continue à promouvoir sa vision révolutionnaire et prépare son retour en dénonçant ceux qu’il considère comme étant des "dérives droitières" au sein du Parti, préparant ainsi la monstrueuse Revolution culturelle.
La Révolution culturelle (1966 – 1976)
Pour revenir sur le devant de la scène, Mao a une idée de génie : utiliser la jeunesse pour éliminer ses ennemis du PCC. Au nom de la lutte contre les “déviations bourgeoises”, les “révisionnistes”, les “capitalistes” qui trahissent la révolution, il déclenche la Révolution culturelle pour détruire les “Quatre Vieilleries” : vieilles idées, vieille culture, vieilles coutumes, vieilles habitudes, rejetant ainsi toute référence à la Chine ancienne.
Des groupes d’élèves et d’étudiants, soutenus par Mao, s’auto-organisent et deviennent Gardes Rouges, des soldats autorisés à agir avec violence, que ce soit avec leurs professeurs, leurs propres parents et les cadres du parti. Les “intellectuels”, c’est-à-dire toute personne ayant bénéficié d’une éducation (professeurs, enseignants, chercheurs, écrivains, journalistes, ingénieurs, médecins, fonctionnaires,…), sont publiquement humiliés, battus ou tués et les familles sont déchirées et traumatisées. Toutes les oeuvres artistiques et les éléments culturels sont détruits : temples, écrits, tableaux,…
Yu Hua, l’un des plus grands auteurs contemporains chinois, raconte son enfance en pleine Révolution Culturelle dans La Chine en dix mots. Il parle notamment des dazibaos, ces affiches manuscrites en très grands caractères chinois, publiques, utilisées par les Gardes Rouges pour critiquer violemment leurs professeurs, les intellectuels et parfois leurs parents à la vue de tous. C’est l’humiliation totale de nombreuses personnes.
“Les jugements en audience publique se tenaient sur le terrain de sport de l’école secondaire du district […]. La sentence finale était d’une concision exemplaire, elle tenait en cinq mots : “Condamné à mort, exécution immédiate !”. […] Dans la Chine de la Révolution culturelle, il n’y avait ni tribunaux, ni procédure d’appel, et nous ignorions jusqu’à l’existence de la profession d’avocat. […] Quand un criminel avait été condamné à mort en assemblée, on ne lui laissait pas le temps de faire appel : il était conduit immédiatement sur le terrain d’exécution pour y être fusillé. […]. De toute mon enfance ce sont les scènes qui m’ont le plus marqué : les soldats se disposaient en cercle pour empêcher la foule des badauds d’approcher. Le soldat chargé de l’exécution donnait un coup de pied dans le pli du genou du condamné, lequel tombait immédiatement sur les rotules. Puis il se reculait de quelques pas, hors de portée des éclaboussures de sang, il levait son fusil, visait la nuque et tirait.” Hua, Yu. La Chine en dix mots. 2010. Actes Sud. p107-110.
Deng Xiaoping vs la Bande des Quatre
Mao meurt en 1976 très affaibli et malade. Cela faisait plusieurs années qu’il parlait difficilement et ne pouvait plus diriger les affaires de l’État de façon active. Le pouvoir est alors disputé entre factions : la Bande des Quatre, des hauts placés du Parti dont Jiang Qing, la veuve de Mao, qui cherche à garder la ligne dure maoïste et les modérés, comme Deng Xiaoping, que Mao avait écartés. À la mort de Mao, Hua Guofeng est désigné comme successeur. Il fait arrêter la Bande des Quatre et tente de perpétuer une ligne maoïste modérée, mais il manque d’autorité et de vision.
Deng Xiaoping, disgracié deux fois par Mao, - son fils est même en fauteuil roulant pour avoir été jeté d’une fenêtre par les Gardes Rouges - est en retrait politique, mais il est charismatique et reste très respecté du Parti. Sous la pression de nombreux cadres, il est officiellement réhabilité, nommé vice-Premier ministre ainsi qu’à des rôles clés dans l’armée, l’économie et la science.
Deng Xiaoping veut passer à autre chose mais la situation est délicate. La population est traumatisée par 10 ans de persécutions mais condamner Mao serait mettre en péril le pouvoir du PCC. Il trouve alors une solution intelligente : prendre la veuve de Mao, Jiang Qing, comme bouc émissaire. Elle est la personne idéale, elle détient un statut important au sein du Parti, elle a un caractère bien trempé et c’est une femme, donc après tout, pour qui se prend-elle. Son procès est largement diffusé et on l’accuse, avec “sa bande”, de tous les crimes initiés par Mao pendant la Révolution Culturelle. La tête haute au tribunal, elle crie au moment de sa condamnation à mort après 4 ans de “rééducation” : “Vive la Révolution”. Elle sera finalement épargnée mais se suicidera en prison en 1991.
Jiang Qing est effectivement coupable, elle a participé à l’assassinat de milliers de personnes lors de la Révolution Culturelle, mais s’il y en a un que la postérité épargnera, c’est bien Mao Zedong ! Ses funérailles sont soigneusement mises en scène pour sacraliser sa mémoire, renforcer l’unité du Parti, et marquer la fin d’une ère tout en préparant une transition politique.
Mao aujourd’hui glorifié par Xi Jinping
Si vous visitez aujourd’hui la Place Tian’anmen, vous ne pourrez manquer le portrait de Mao accroché au-dessus de l’entrée centrale de la porte Tian'anmen, autrefois entrée principale de la Cité interdite. Son mausolée quant à lui est situé au centre-sud de la place et, à son entrée, se trouve une statue monumentale en position debout, sculptée dans la pierre. Xi Jinping a pourtant lui-même connu l’horreur de la Révolution Culturelle : son père a été déchu et sa soeur en est morte (cf l’article n°5 sur l’ascension et l’idéologie de Xi). Il aurait très bien pu vouloir se venger…
Loin de condamner Mao, Xi Jinping réécrit l’histoire pour minimiser les méfaits du dictateur et exagérer ses exploits. Il insiste particulièrement sur le rôle des communistes dans la résistance contre l’occupation japonaise, sans mentionner le rôle de Tchang Kaï-shek, qui était alors au pouvoir. La Longue Marche, pourtant très meurtrière, prouve aujourd’hui la détermination des communistes et “reflète amplement la force et l’esprit admirable de l’idéal révolutionnaire.”
À propos du Grand Bond en avant, on apprend aujourd’hui aux chinois qu’il y a eu une grande famine mais que celle-ci était due à un mauvais climat. Concernant la Révolution Culturelle, Xi Jinping fait référence aux “erreurs” de Mao dans les dernières années de sa vie, alors qu’on parle tout de même de 2 millions de morts et 10 millions de victimes !
“Les dirigeants révolutionnaires ne sont pas des dieux, mais des êtres humains, plaide-t-il. Même s’ils possèdent un haut niveau théorique, de riches expériences de luttes et des capacités dirigeantes extraordinaires, cela ne signifie pas que leurs connaissances et leurs actions n’ont pas été limitées par les conditions de l’époque […] mais on ne peut pas les rejeter totalement, effacer leurs contributions historiques.” Extrait d’un discours de Xi Jinping. Bougon, François. Dans la tête de Xi Jinping. 2017. Actes Sud. p69.
Les Chinois retiennent surtout la capacité de Mao à remettre la Chine sur le devant de la scène internationale dans les années 70 en se rapprochant du Président Nixon et en intégrant le Conseil de sécurité des Nations Unis.
En effet, en 1971, l’ONU reconnait officiellement la République Populaire de Chine comme étant la seule représentante de la Chine et expulse Taïwan des institutions internationales (je vous en explique le contexte dans l’article n°9 sur les relations sino-américaines).
Après des milliers d’années de vision impériale sino-centrée, après le fameux siècle de l’humiliation allant des traités inégaux à l’occupation japonaise, cette reconnaissance internationale représente beaucoup pour les Chinois.
Non seulement le bilan funeste de Mao est minimisé (officiellement 70% positif) mais sous Xi Jinping, la figure de Mao Zedong est plus que jamais honorée. Traumatisé par la chute de l’URSS, Xi ne veut surtout pas reproduire l’erreur qu’a selon lui commise les russes : la déstalinisation.
Pardonner Mao, c’est d’abord assurer une continuité dans les “cinq mille ans d’histoire ininterrompue de la nation chinoise” qui justifie aujourd’hui une domination sur le monde. Et critiquer durement Mao reviendrait également à remettre en question le pouvoir du Parti Communiste Chinois.
“Si ses prédécesseurs étaient un peu gênés dans leurs hommages à Mao, lui les assume. Xi Jinping appelle à la synthèse entre les deux premières périodes du régime, sous Mao et après Mao, entre la révolution et le “socialisme à caractéristiques chinoises” Bougon, François. Dans la tête de Xi Jinping. 2017. Actes Sud. p67.
Il ne s’agit donc pas seulement d’une stratégie politique pour conserver le pouvoir, mais d’une croyance sincère au bénéfice d’une certaine synthèse entre les principes de la pensée maoïste et les réformes d’ouverture économique qui caractériseront les décennies 1980, 1990 et 2000.
Concrètement, Xi Jinping s’inspire des principes maoïstes dans sa gouvernance et c’est un élément très important de sa propagande :
- La “ligne de masse”, cette doctrine selon laquelle le Parti Communiste Chinois (PCC) doit "partir des masses, retourner aux masses". Xi Jinping réutilise ce principe en 2013 lorsqu’il lance une campagne nationale appelée "Campagne de ligne de masse pour l’éducation et la pratique" qui consiste à combattre la bureaucratie, le luxe et la corruption au sein du Parti pour se rapprocher du peuple. C’est bien sûr aussi une bonne excuse pour se débarrasser de certains opposants et centraliser le pouvoir.
- La “recherche de la vérité à partir des faits”, impliquant une approche pragmatique. Les décisions politiques doivent se baser sur l’observation de la réalité concrète, et non sur des dogmes ou des idéologies rigides. Xi Jinping se dit gouverner au nom de l’efficacité et du bien-être du peuple et savoir corriger ses erreurs. Il justifie ainsi une planification économique fondé sur des analyses empiriques.
- “L’indépendance”, principe selon lequel chaque peuple doit forger son destin en fonction de ses propres conditions historiques, sociales et économiques. Mao l’utilisait pour échapper à l’influence de l’URSS, Xi Jinping convainc quant à lui les Chinois que les valeurs prônées par l’Occident ne sont pas universelles, que la Chine est en droit de développer ses propres valeurs. On pense aux droits de l’homme et à la démocratie par exemple…
À partir de la mort de Mao en 1976, après des années de guerre civile, d’invasion japonaise, de guerre mondiale, de dictature communiste, la Chine va connaître un extraordinaire boom économique grâce aux mesures de libéralisation entreprises par Deng Xiaoping. Comment la Chine est-elle passée de 1% de l’économie mondiale en 1980 à 17k mds de PIB aujourd’hui, soit l’équivalent de toute l’UE ? Et quel est le prix de cet exploit ? C’est l’objet du prochain article !
Le point à retenir
- Mao, bien que responsable de la mort de dizaines de millions de personnes, est toujours glorifié aujourd'hui. Sa veuve, Jiang Qing, est rendue coupable de tous les crimes de son mari. La version officielle de l'histoire minimise les méfaits de Mao pour éviter toute remise en question du pouvoir du Parti Communiste Chinois et pour assurer la continuité des "cinq mille ans de civilisation chinoise".
Articles suivants :
4 | 2ème PIB mondial en 30 ans (1980-2010)5 | L’ascension et la doctrine de Xi Jinping : du Prince rouge déchu au Nouvel Empereur autoritaire et nationaliste6 | La Grande Nation Chinoise selon Xi Jinping : Hong Kong, le Tibet, Taïwan, le Xinjiang (Ouïghours)7 | Une « civilisation écologique », une opportunité pour dominer le monde mais des efforts encore insuffisants pour sauver la planète