551 av. J.-C. - 2025
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La culture chinoise s’appuie sur ses philosophies mondialement connues. Comprendre leurs fondements vous permettra d’appréhender certains aspects de la spiritualité chinoise encore prégnants, ainsi que les références utilisées par Xi Jinping dans ses discours que j’analyse dans l’article sur l’idéologie du Nouvel Empereur (article n°5).
Confucius et l’harmonie sociale par l’apprentissage
Confucius (551-479 av. J. -C.) est un philosophe chinois dont la pensée a encore une grande influence en Chine, en Corée, au Japon et au Vietnam. Sa marque de fabrique, c’est l’harmonie sociale. Il ne s’épanche pas vraiment sur le bonheur et la vie après la mort : pragmatique, sa réflexion générale tourne plutôt autour de l’organisation de la société et du comportement que les individus se doivent d’adopter pour parvenir à la cohésion. Les concepts de Datong et de Xiaokang découlent de cette pensée et résonnent aujourd’hui avec la réthorique marxiste du Parti Communiste Chinois :
- Datong est la société utopique et idéale, d’harmonie universelle. Il y règne l’égalité, sans distinction de classe ni de richesse, la justice, avec une gouvernance juste et une répartition équitable des ressources, et l’unité, où les individus privilégient le bien-être collectif au profit personnel.
- Confucius a bien conscience qu’un tel idéal de société est difficile voire impossible à mettre en place, Datong sert surtout de ligne directrice. Il invente alors le concept de Xiaokang, plus réaliste et pragmatique, qui désigne une société dans laquelle les citoyens vivent confortablement, chacun dispose de ressources suffisantes pour vivre dignement et la stabilité politique est assurée.
Pour Confucius, cette harmonie sociale ou Xiaokang, dépend de la propension de chaque individu à s’améliorer par l’apprentissage. Le chemin vers l'harmonie collective commence par le cheminement individuel vers la conscience de soi et le raffinement moral. Il reconnait que les êtres humains naissent de désirs, de préjugés et de croyances, qui peuvent engendrer conflits et discorde. Mais grâce à l'éducation, la réflexion et l'autodiscipline, les individus transforment ces traits en qualités vertueuses. Il ne se soucie donc pas de savoir si l’Homme est bon ou mauvais de nature, il est perfectible et ce quelqu’il soit. C’est pourquoi Confucius promeut l’accès à l’étude pour tout le monde, toutes catégories sociales confondues. En plus de prouesses intellectuelles, l’amélioration de soi concerne la quête du bien, le respect d’autrui, le discernement moral et la capacité à porter des jugements judicieux. Il prône une attitude bienveillante allant de paire avec la modestie et le retrait de soi dans le but de diminuer les conflits et de maintenir l’ordre sociétal.
Confucius imagine ainsi une société bien organisée. La famille est plus importante que tout, les ancêtres doivent être respectés et honorés, et toutes les relations sont de type frère ainé-frère cadet. Les plus accomplis aident les autres à évoluer vers le statut de jun zi, « le noble sire », celui qui, par l’apprentissage, intègre une perception des situations qui lui permet de s’y comporter avec justesse. La société est donc hiérarchisée, mais il rejette l’idée de caste. Globalement, chacun est inférieur et supérieur à un autre, mais doit pouvoir s’élever par le perfectionnement.
Par ailleurs, Confucius promeut la soumission au souverain, à condition que celui-ci fasse preuve d’une morale impeccable. Le concept de Mandat du Ciel expliqué dans l’article sur les dynasties, fonctionne donc bien avec la pensée confucéenne. Le peuple est en droit de révoquer à tout moment le souverain s’il l’estime immoral, indiscipliné ou injuste. Ce détail sera vite oublié par certains empereurs tyranniques.
Pour finir, Confucius donne beaucoup d’importance aux rites (célébrations, festivités populaires, etc). Pour lui, l’être humain est naturellement social et le rite est là pour renforcer et réguler cet « élan affectif vers autrui ». Les lois ne suffisent pas pour obtenir la cohésion sociale, elle nécessite des rites unificateurs. Les fêtes nationales et les rituels sont donc un outil de gouvernance très recommandé pour que chaque individu se sente appartenir au groupe, soit fier de cette appartenance et honteux de désobéir aux règles qui le maintiennent.
« Gouvernez à force de lois, maintenez l’ordre à coup de châtiments, le peuple se contentera d’obtempérer, sans éprouver la moindre honte. Gouvernez par la vertu, harmonisez par les rites, le peuple non seulement connaîtra la honte, mais de lui-même tendra vers le bien. ». Confucius.
À l’ère de la Chine impériale, le confucianisme est profondément intégré à la vie politique, sociale et culturelle et certaines dynasties s’en réclament officiellement. Par exemple, les écoles gouvernementales intègrent les enseignements de Confucius (les « Quatre livres ») et les examens impériaux pour devenir fonctionnaire sont ouverts à toutes les classes sociales depuis la dynastie des Tang (618-907), comme l’encourage Confucius. Pour faire respecter la piété filiale, les lois impériales punissent sévèrement les infractions aux devoirs familiaux. Finalement, les fonctionnaires sont tenus d’avoir un comportement moral irréprochable et les rituels confucéens sont observés non seulement aux cours impériales Han, Tang, Song, Ming et Qing mais aussi localement et au sein de la famille.
Le confucianisme a été vivement critiqué sous Mao puis remis au goût du jour sous Deng Xiaoping, et régulièrement convoqué aujourd’hui par Xi Jinping. Je vous explique sous quelle forme dans l’article sur l’idéologie de Xi.
Le taoïsme, le yin et le yang
Le taoïsme apparaît avant le bouddhisme en Chine lorsque les Han (-220 av. JC à 206 ap. JC) compilent des écrits datant du IVème ou Vème siècle av. J. -C. Un de ces écrits, le Dao De Jing, conceptualise la notion de Dao (dite Tao, d’où “taoïsme” ) qui signifie “La Voie”.
Le Tao ou Dao est à la fois l’origine et le principe fondamental de l’univers. Tout élément du monde provient d’une unité primordiale, qui existe par elle-même, un modèle cosmique interconnectant toute chose, sans intervention divine.
De cette unité découlent naturellement les forces opposées et complémentaires du Yin et du Yang. De cette dualité naît le mouvement naturel et spontané (le Qi), le flux d’énergie qui circule à travers toute chose et qui meut chaque élément d’une force à l’autre : de l’été à l’hiver, de la nuit au jour, du ciel à la terre, de la vie à la mort, du monde invisible au monde visible. En effet, incluant une dimension animiste (croyance aux esprits), le taoïsme considère que chaque élément (ou être) existe à la fois sous une forme invisible et une forme visible : la naissance est le passage du monde invisible au monde visible et la mort le retour à l’invisible.
Le but de l’homme est alors de mener une existence qui se rapproche au maximum de ce mouvement, de cultiver, équilibrer et harmoniser ce flux d’énergie dans le corps et l’univers pour allonger le temps de la vie. Les plus motivés, « les taoïstes immortels », se retirent dans des lieux naturels, loin de la société, des autres hommes et du progrès, sur des monts sacrés.
Le taoïsme conceptualise également le Wu Wei, le “non-agir” : il ne s’agit pas d’être complètement inactif mais plutôt de ne pas forcer les choses, “non pas ne rien faire, ni laisser faire, mais plutôt ne rien forcer, ne pas en faire trop, en un mot savoir faire juste ce qu’il faut pour que les choses se fassent d’elles-mêmes”. Javary, Cyrille. Les Trois Sagesses Chinoises. 2012. Albin Michel. p91.
“On ne fait pas pousser les poireaux en leur tirant dessus” Proverbe taoïste.
Le Wu Wei s’applique à la politique et prône une gouvernance minimale, fluide, en harmonie avec la nature des choses et une absence de contrôle excessif et de lois trop nombreuses, permettant à la société de fonctionner de manière organique. Vous l’aurez compris, on ne peut pas dire que Xi Jinping applique la philosophie à la lettre ! Mais ce dernier fait quand même souvent référence aux penseurs taoïstes, surtout parce qu’il s’agit d’une sagesse 100% made in China donc elle sert ses arguments nationalistes.
Le feng shui est une application pratique des principes taoïstes dans le domaine de l’architecture et de l’aménagement des espaces, visant à intégrer l’homme dans le grand flux naturel de l’univers en cherchant à équilibrer les cinq éléments dans l’espace de vie.


Le Tai-chi ou Taiji quan (太极拳, tàijíquán) est également une expression des principes taoïstes. Branche du Kung-Fu, il vise à harmoniser et à cultiver le Qi (énergie vitale) à travers la pratique de mouvements lents, permettant à l’énergie de circuler librement dans le corps et d’améliorer la santé physique et mentale, équilibrant ainsi le Yin et le Yang.
Le bouddhisme Mahayana
D'origine indienne, le bouddhisme connaît un essor considérable en Chine au Vème siècle et repose sur trois piliers.
Le premier pilier est un homme : Siddhãrta Gautama (560-480 av. J.-C.) ou Sakyamuni, le Bouddha, fondateur du bouddhisme. Né au Népal, Siddhãrta est un prince élevé dans le luxe. Lors de sorties en dehors du palais, il découvre la souffrance universelle. Décidé à comprendre le sens de l’existence et à trouver un moyen de mettre fin à cette souffrance, il renonce à sa vie de prince.
Après des années d’austérité et d’abnégation, il conclut que ni les plaisirs ni les privations extrêmes ne mènent à la paix. Méditant sous un arbre, il atteint l’Éveil : la compréhension profonde de la souffrance et du chemin qui mène à sa fin. Devenu Bouddha (« l’Éveillé », avec un grand B), il consacre sa vie à enseigner une voie de sagesse, de compassion et de libération intérieure.
Le deuxième pilier est la “loi”, ce sont les principes qui guident les pratiquants vers la libération de la souffrance. Elle est résumée par les « Quatre Nobles Vérités » qui se comprennent dans l’ordre suivant :
(1) La vie est synonyme de souffrance.
(2) Cette souffrance est due aux désirs, à la soif d’existence, aux souillures et aux impuretés.
(3) Cette souffrance peut être abolie en atteignant le nirvâna : l’état de paix absolue associée à la fin des désirs et de la croyance d’un ego autonome.
(4) Le nirvâna s’atteint en se libérant d’une succession de réincarnations (samsāra) en suivant le principe du karma, selon lequel chaque action, bonne et mauvaise, a une conséquence sur le chemin vers l’éveil. Une fois le nirvâna atteint, l’être se transforme en bouddha (avec un petit b), transcendant le monde et atteignant un état paisible et libéré.
Les bonnes ou les mauvaises actions sont définies par le « Noble Sentier Octuple » : huit éléments répartis en trois catégories :
- La Sagesse : la Vue juste et l’Intention juste - développer des intentions de bienveillance et de non violence.
- La Conduite éthique : la Parole juste - ne pas mentir, l’Action juste - éviter les actions nuisibles comme le meurtre ou le vol, le Moyen de Subsistance Juste - gagner sa vie honnêtement sans atteinte à autrui.
- La Discipline Mentale : l’Effort juste - cultiver des pensées positives, l’Attention juste - développer une pleine conscience du corps, des pensées et des sensations, la Concentration juste - atteindre une profonde méditation et une concentration claire de l’esprit.
Le troisième pilier est la communauté. Les fidèles soutiennent financièrement les moines qui, en retour, prient pour le salut de tous.
Ces piliers constituent les principaux concepts mais le bouddhisme est ensuite divisé en plusieurs branches, elles-mêmes scindées en plusieurs écoles qui sont suivies dans toute l’Asie. Les rituels, l’architecture des temples, la meilleure voie pour atteindre le nirvâna varient selon ces appartenances.
En Chine, la branche Mahayana est la plus répandue. Selon cette doctrine, l'illumination personnelle n'a de sens que si l'humanité entière est sauvée. Cette vision implique la compassion et la bienveillance essentielles des croyants (contrairement à d'autres versions où chacun cherche son propre salut, ici l'objectif est de progresser collectivement). Les pratiquants vénèrent alors les bodhisattvas, des bouddhas qui choisissent de revenir, par compassion, dans le monde sous différentes formes pour aider les êtres vivants à atteindre l’éveil.
Le bouddhisme s’est largement développé en Chine à partir de la dynastie Tang et continue d’y être pratiqué de manière syncrétique avec le taoïsme, donnant naissance aux croyances populaires chinoises actuelles.
Une foi multiple, sans Dieu ni guerre de religion
La Révolution culturelle de Mao (que je détaille dans le prochain article) cause la destruction de nombreux monastères et mène à un ralentissement de la pratique spirituelle. Mais à l’ère de la Chine impériale et à notre époque, se développe un syncrétisme entre le confucianisme, le taoïsme, le bouddhisme et d’autres croyances populaires animistes telles que le culte des ancêtres. Toutes ces croyances se marient plutôt bien puisqu’elles partagent la même idée d’un monde parallèle, le monde invisible pour les taoïstes et le monde des bouddhas pour les bouddhistes. Le Bouddhisme et le Confucianisme ont aussi des points communs. Par exemple, les deux pensées reposent sur une évolution, une amélioration de soi. Pour Confucius, ce progrès passe par l’étude et la discipline pour atteindre le statut de jin zu, pour les bouddhistes, par les bonnes actions (karma) pour atteindre le nirvâna. Dans les deux cas, l’ego est quelque chose dont on veut se délivrer. Les deux pensées sont également très complémentaires puisque le confucianisme n’apporte pas réellement de réponses sur la mort et l’âme individuelle, le bouddhisme vient combler ce vide.
On remarque que la foi chinoise est multiple et très riche, sans Dieu unique qui ordonne, sans guerre de religion, n’imposant à personne ses croyances :
“Ce qui compte, ce n’est pas la foi, c’est le comportement. L’important n’est pas de croire, mais d’agir avec justesse — envers ses parents, ses ancêtres, la nature, les saisons, les autres. La morale n’est pas un moyen de gagner le paradis, mais une finalité en soi. Elle est ce qui permet de maintenir l’harmonie du monde. Dans cette logique, la spiritualité ne cherche pas la vérité absolue, mais une forme de mesure intérieure, de modestie face à ce qui nous dépasse. Ce n’est pas une révélation qui éclaire soudain tout, mais une lueur discrète qui accompagne les pas du quotidien. Et il n’y a pas de messie attendu pour réparer le monde : le monde est déjà là, complexe, changeant, parfois cruel, souvent beau. Il ne demande pas d’être sauvé. Il demande d’être compris, traversé, honoré.” Durandeau, Christophe. La Chine et les dieux absents : quand la foi devient éthique. Chine 365.
Les trois sagesses reflètent donc la conviction que l’individu fait partie d’un tout harmonieux, existant indépendamment de lui. Dès lors, il lui incombe de s’y intégrer, ce qui implique de transcender, voire de maîtriser, son individualité et son ego. Cette vision du monde offre une clé particulièrement éclairante pour comprendre la culture chinoise et sa conception de la vie en société, si différente de la nôtre.
Le point à retenir
- Le Confucianisme, philosophie chinoise millénaire, promeut la soumission au souverain, à condition que celui-ci fasse preuve d'une morale impeccable. L'individu doit constamment s'améliorer grâce à l'apprentissage, faire preuve de modestie et de retrait dans le but d'assurer l'harmonie sociale. Ces principes seront beaucoup utilisés par les dirigeants du PCC après la mort de Mao pour légitimer leur autoritarisme.
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