1953 - 2025
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En 2013, Xi Jinping est élu Président de la République Populaire de Chine après avoir été nommé en 2012 secrétaire général du Parti Communiste Chinois. Il succède à Hu Jintao, président depuis 2003, connu pour son manque de charisme et son caractère consensuel. Tout le contraire de Xi. En changeant la Constitution en 2018 pour abolir la limite des mandats, Xi Jinping s’autorise le pouvoir à vie pour mettre en place son idéologie. Il est ainsi devenu un des hommes les plus puissants de notre époque : un nouvel empereur qui, à lui seul, a changé la face du monde. Pourtant, Xi Jinping sort plus ou moins de nulle part lorsqu’il accède au pouvoir. Personne ne le connaît à l’international et on ne se doute pas qu’il a un plan très ambitieux et un modèle de gouvernance encore plus autoritaire que ses prédécesseurs.
Au programme
La démocratie, la cause du déclin des autres nations, à ne surtout pas reproduire
Racisme d’État et nationalisme : un parti d’extrême droite
Le Document n9 secret : la méfiance et la haine de l’Occident
L’ascension de Xi Jinping : du Prince rouge déchu au Nouvel Empereur
Une enfance dorée qui tourne au cauchemar
Xi Jinping naît en 1953. À cette époque, Mao est tout puissant, il a proclamé la République Populaire de Chine en 1949 après avoir vaincu les forces nationalistes de Tchang Kaï Shek. Le père de Xi Jinping, Xi Zhongxun, n’est rien de moins qu’un des compagnons de Mao pendant la longue marche, vice-président de l’Assemblée populaire et Vice premier ministre. C’est un dirigeant de premier plan et ami de longue date de Mao.
Xi grandit donc dans la cité pourpre, ce complexe plus grand que Central Park jouxtant de la Cité interdite à Pékin pour les hauts dirigeants du Parti et leurs familles. Vacances à la mer, piscine le dimanche, dîners copieux, la famille Xi mène la belle vie, loin du désastre du Grand Bond en avant qui cause une famine meurtrière dans les années 50.
Mais la douce enfance ne va pas durer. En 1962, le père de Xi Jinping est accusé par des concurrents de soutenir le livre Liu Zhi Dan, interprété comme une critique de Mao. Mao, qui a besoin de coupables après la catastrophe du Grand Bond en avant, le destitue lui-même et Xi Zhongxun est envoyé en détention dans le Henan, condamné au travail forcé. La vie de Xi Jinping tourne au cauchemar. En 1966, la Révolution Culturelle commence et sa famille est persécutée puisqu’elle est liée à un « ennemi du peuple ». Xi Jinping est humilié publiquement, sa mère est dans la foule, obligée de le huer avec les autres pour sauver sa famille. Sa grande sœur Mi meurt dans des circonstances opaques : probablement battue à mort par les gardes rouges ou poussée au suicide à cause des humiliations. Pas besoin de Freud pour déduire que ces épisodes ont été traumatisants et ont fortement forgé la détermination et le caractère du futur chef.
Le programme des “jeunes instruits” de Mao
À l’âge de 15 ans, pour redorer son image, il participe au programme des « jeunes instruits » de Mao qui concernera 17 millions de personnes. Cette politique vise à réduire les inégalités campagne-ville et à renforcer l’idéologie socialiste auprès des jeunesses rurales en envoyant des citadins à la campagne. Xi Jinping est envoyé à Liangjiahe, dans le Shaanxi, « La Terre Jaune », un village reculé très pauvre où il passera 6 années précaires. On ne connaît pas trop l’état d’esprit de Xi Jinping au départ : est-il obligé ? Veut-il faire bonne figure après la destitution de sa famille ? En tout cas, il s’exprimera en 2004 dans une interview :
« Tout le monde versait des larmes […]. Moi je riais. Mes proches qui m’avaient accompagné au train m’ont demandé pourquoi, je leur ai dit : « C’est si je ne pars pas que je vais pleurer. Qui me dit que j’ai un avenir ici ? ». Xi Jinping, le prince rouge, podcast original de France Inter en neuf épisodes, produit par Dominique André. 2024. France Inter
Cet épisode est très important dans la vie de Xi Jinping pour deux raisons.
D’abord, cela va lui constituer un petit cv : la case « expérience sur le terrain avec des pauvres » est cochée, ce qui lui permettra d’accéder en 1982 au poste de Secrétaire adjoint du Parti pour le comté de Zengding, dans la province d’Hebei, une zone très rurale et peu développée.
Ensuite, même si Xi Jinping semble avoir détesté cette expérience (il s’est même enfui et a rejoint clandestinement Pékin où il est rattrapé), elle est aujourd’hui un élément très important de sa propagande. En effet, le Shaanxi, la « Terre Jaune » est à la fois :
- Le lieu du tombeau de l’Empereur jaune, héros mythique dans la culture Chinoise qui aurait régné entre 2697 et 2597 avant notre ère et qui serait l’ancêtre commun de tous les Hans, l’ethnie majoritaire de Chine et le fondateur de la civilisation chinoise (cf article n°1 sur l’héritage de l’ère impériale).
- Le lieu où son père a dirigé une base pendant la guerre civile qui servait de refuge aux communistes. Il a également combattu dans la région lors de la guerre sino-japonaise (1937-1945). (cf article n°3 sur le XXème siècle)
- Le lieu du quartier général de Mao pendant la période précédant sa prise de pouvoir en 1949 (Yan’an).
C’est du pain béni pour un story telling de choc. Cet épisode s’inscrit parfaitement dans la stratégie de Xi de réunifier et d’incarner lui-même toutes les facettes de la Chine : Chine ancienne, Chine révolutionnaire socialiste de Mao et Chine moderne.
Une détermination discrète et une patience à toute épreuve
Mao meurt en septembre 1976. C’est le deuil national, tout le monde doit pleurer. Comment Xi Jinping se sent-il vis à vis de la mort du Grand Timonier ? On ne sait pas trop. Il a des raisons de lui en vouloir mais Xi s’obstine à devenir membre du Parti Communiste en 1974 après neuf candidatures refusées à cause de son affiliation avec un traître. Il semble donc bien déterminé à vouloir entrer en politique et évoluer au sein du système qui a détruit sa famille. En 1975, il rentre à la prestigieuse université de Tsinghua de Pékin pour y étudier l’ingénierie chimique mais c’est la politique qui l’intéresse.
Cela s’avère très opportun, puisqu’après la mort de Mao, la Révolution culturelle se termine et son père est réhabilité en 1978. Xi Zhongxun devient vice-premier ministre et responsable des affaires dans le Guangdong sous Deng Xiaoping. Xi Jinping devient alors en 1979, l’assistant personnel de Geng Biao, vice-premier ministre et secrétaire de la commission militaire centrale, que son père connaît personnellement. Un point de plus pour le cv : la connaissance des rouages de l’armée.
À ce moment en Chine, c’est l’époque des grands changements et des réformes. Deng Xiaoping ouvre la Chine au commerce international et aux investissements étrangers. Il y a débat au sein de la classe politique : une libéralisation économique doit-elle aller de paire avec une libéralisation politique ? Xi Zhongxun est dans le camp des modérés et conseille à Deng Xiaoping de temporiser lors des manifestations de Tiananmen de 1989, il ne sera pas écouté.
Xi Jinping, lui, n’entre pas dans le débat, il fait profil bas, se protège et attend son moment, il a appris à ses dépens que tout peut changer en un instant :
«Le révolutionnaire d’hier devenait le contre-révolutionnaire d’aujourd’hui, et le contre-révolutionnaire d’aujourd’hui deviendrait le révolutionnaire de demain. […] Dans le langage courant, on appelle cela « retourner la galette » Hua, Yu. La Chine en dix mots. 2010. Actes Sud. p391.
Xi Jinping ne fait donc pas de vagues. Bien que des postes très prestigieux lui soient accessibles grâce à son père, il décide de recommencer en bas de l’échelle et de gagner en expérience à tous les niveaux de la hiérarchie du Parti. Il faut bien comprendre ici que cette décision est très forte. Son père est extrêmement puissant, quasiment le numéro deux de l’administration de Deng Xiaoping, il pourrait facilement pistonner son fils pour n’importe quel poste. Xi Zhongxun lui conseille pourtant de commencer petit.
Il devient donc en 1982 secrétaire adjoint pour le comté de Zhengding (Hebei) qui est loin d’être une région de premier plan. Il s’y distingue par la mise en place des réformes économiques initiées par Deng Xiaoping au niveau national et fait preuve de beaucoup d’efficacité.
L’ascension jusqu’au sommet
Celle qui commencera à le faire sortir de l’ombre, c’est sa femme Peng Liyuan qu’il épouse en 1987. Celle-ci est à ce moment très célèbre, bien plus que Xi Jinping, pour être la chanteuse officielle de l’armée, performant notamment au Nouvel An chinois devant des millions de téléspectateurs.
Ce mariage sera un atout de poids pour la nomination de Xi au poste de Secrétaire General du Parti plus tard, en 2012, puisque Peng représente très bien le Parti. Ils auront une fille en 1992 et Peng abandonnera plus tard sa carrière pour ne pas faire de l’ombre à son mari.
Xi Jinping monte ensuite petit à petit en grade. Entre 1985 et 2002, il gravite dans les rangs du Parti à divers postes dans le Fujian où il devient vice-gouverneur puis gouverneur. Cette région est en face de l’île de Taïwan, donc Xi apprend tout de la situation, encore un bon point pour son profil. Puis, il accède au poste de secrétaire du Parti de la province du Zhejiang en 2002, et de Shanghai en 2007. C’est le poste le plus élevé pour une région au dessus des gouverneurs ou des maires et de Shanghai en 2007 (cf organigramme simplifié ci-dessous).
Xi a donc occupé les postes de Secrétaire adjoint d’une zone reculée, vice-gouverneur, gouverneur puis Secrétaire du parti de la capitale économique. Il a gravi les échelons petit à petit, tel l’oiseau qui fait son nid. Parallèlement, il se fait bien voir des anciens du parti qui le trouvent poli et inoffensif. Il a l’image d’un homme ennuyeux mais bon et droit :
« Xi Jinping ne parlait pas de femmes, ne buvait pas, ne prenait pas de drogues. Il était considéré comme moyennement intelligent, les femmes le trouvaient ennuyeux. Toutefois malgré son manque de popularité […], il n’était pas un homme sans cœur, il était considéré comme un mec bien. Il ne s’intéresse pas à l’argent et n’est pas corrompu. Il a les moyens d’être incorruptible étant donné qu’il est né avec une cuillère en argent dans la bouche. » reportera un diplomate américain. Xi Jinping, le prince rouge, podcast original de France Inter en neuf épisodes, produit par Dominique André. 2024. France Inter.
En 2007, il entre au Comité Permanent du Bureau Politique (cercle restreint de la Direction Nationale), en 2008, il est nommé Vice-President, rôle de façade qui lui permet toutefois de faire ses premiers voyages officiels à l’international. Il est également en charge des JO de Pékin qui est un véritable succès.
Sa nomination à la tête du PCC en 2012 est donc dûe à sa personnalité effacée qui n’effraie pas les autres membres du Parti, à l’influence de son père et à son expérience très complète incluant des années en zones rurales, une proximité avec Taiwan et un passage par la défense. Il a tout fait comme il faut et laisse l’impression que tout était calculé.
Une fois nommé Président, Xi va adopter une politique très nationaliste, autoritaire et aura une seule ambition, totalement assumée : faire de la Chine le numéro un mondial. Ce Prince rouge déchu et humilié, qui aurait pu vouloir se venger du Parti, l’aura plutôt dompté de l’intérieur pour arriver au sommet du pouvoir, initier une nouvelle ère et appliquer son idéologie très bien réfléchie.
L’idéologie de Xi Jinping : confucianisme, marxisme, légisme, maoïsme, socialisme et nationalisme d’extrême droite. Un joyeux mélange !
Lorsque Xi Jinping accède au pouvoir en 2013, la Chine est déjà une puissance économique, la deuxième du monde derrière les États-Unis depuis 2010. Elle est membre de l’OMC depuis 2001 et s’est intégrée au commerce international. Mais sa croissance commence à ralentir après les décennies suivant les réformes de Deng Xiaoping. Cette croissance rapide a permis à des milliers de personnes de devenir très riches en quelques années sans vraiment de cadre légal, il y a donc beaucoup de corruption. De plus, une surcapacité industrielle et une dépendance aux exportations inquiètent les dirigeants.
D’un point de vue politique, la libéralisation tant attendue par certains n’arrive pas. Même si certaines ONG et militants commencent à se mobiliser sur des sujets tels que l’environnement, les droits de l’homme et la corruption, Hu Jintao (2003-2013) ne pousse aucune réforme politique vers un système plus démocratique, le Parti Communiste Chinois centralise tous les pouvoirs. Les médias et Internet sont censurés (blocage de Twitter, Facebook et Google) et les dissidents tels que Liu Xiaobo, militant pour la démocratie et prix Nobel de la Paix (2010), sont emprisonnés. Des émeutes au Tibet en 2008 et dans le Xinjiang (région Ouïgoure) en 2009 sont violemment réprimées.
Qui dit changement de leader dit suspens : est-ce que Xi Jinping va enfin lâcher du lest et donner un peu de liberté à son peuple, comme on l’attend d’un pays développé ? Non, Xi Jinping va développer une politique encore plus autoritaire, justifiée par une idéologie bien pensée reposant sur l’histoire, de la Chine impériale à la Chine développée en passant par la Chine de Mao. En 2018, il fait modifier la Constitution pour supprimer la limite de deux mandats présidentiels, lui donnant le pouvoir à vie et il y fait inscrire sa doctrine. Il y est également stipulé que s’opposer à lui revient à s’opposer au Parti et donc être passible de sanctions.
Loin du dictateur uniquement motivé par son pouvoir et sa richesse personnelle, tout laisse penser que Xi Jinping est convaincu que son modèle permettra à la Chine de redevenir la grande Nation qu’elle était avant « le siècle de l’humiliation », c’est le « rêve chinois ». Mais cela ne sera possible qu’au prix des libertés individuelles, de l’exploitation des autres nations et de celle des minorités ethniques. Comme dit Alain Frachon : « les dictateurs croient ce qu’ils disent et font ce qu’ils disent » Les Ateliers du Monde, Alain Frachon, Géopolitique : les Etats-Unis au XXIe siècle. Épisode 3. Les Etats-Unis et la Chine : de l’amitié à l’affrontement (2022).
La démocratie, la cause du déclin des autres nations, à ne surtout pas reproduire
À l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, la population est déjà bien bercée par le discours selon lequel les nations occidentales sont en déclin. Dès le début des années 2000, les dirigeants chinois sont hantés par la perspective de décliner après la période de prospérité amorcée dans les années 1980. Ils veulent à tout prix éviter le sort réservé à d’autres puissances qui, après s’être modernisées et industrialisées, ont fini par perdre leur influence. En 2003, une session d’étude est organisée avec des historiens et des étudiants pour analyser le parcours de plusieurs grandes puissances : le Portugal, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, le Japon, la Russie et les États-Unis. (Bougon, François. Dans la tête de Xi Jinping. 2017. Actes Sud. p25-28). Leur point commun ? Toutes ont connu une période de domination mondiale suivie d’un déclin. La conclusion de l’étude est double et donne lieu à un documentaire de dix heures, diffusé sur une chaîne nationale, rapidement devenu très populaire.
La première : c’est maintenant au tour de la Chine de devenir la première puissance.
La deuxième : la clef pour éviter le déclin est multiple : « un leader ambitieux, accompagné d’un exécuteur courageux », la capacité à saisir une opportunité historique (une ressource, un monopole, une invention), un fort Hard Power (armée), un fort Soft Power (culture), une harmonie sociale, une économie compétitive et un système politique stable. À ce moment-là, leur analyse considère que le piège réside dans la recherche d’hégémonie et d’impérialisme.
Hu Jintao (2003-2013) retiendra l’opportunité historique (une économie super compétitive), l’harmonie sociale et la méfiance vis-à-vis d’une hégémonie mondiale : il favorisera le multi latéralisme et l’entente avec les États-Unis. Pour Xi Jinping, l’innovation et la stabilité politique sont primordiales. Et stabilité politique rime avec un État fort non démocratique.
En 2008, la crise des subprimes continue de convaincre que le système démocratique occidental n’est pas le meilleur : l’absence de régulation des marchés financiers a mené à la catastrophe. Au même moment, la Chine brille avec les Jeux Olympiques de Pékin, c’est décidément leur tour d’être premier !
Xi Jinping accède donc au poste de Président en 2013 dans ce contexte de sentiment de supériorité naissant. Le monde entier se demande s’il va devenir le « Gorbatchev chinois », celui qui apportera des réformes démocratiques. Sauf que Xi Jinping déteste Gorbatchev, c’est l’exemple à ne surtout pas suivre, « un véritable désastre et même un traumatisme » ! Selon Xi, la chute de l’empire soviétique provient de l’abandon de l’idéologie marxiste sous Khrouchtchev dans les années 50 après la mort de Staline en 1953 et des réformes de libéralisation politique de Gorbatchev dans les années 80 :
“Sous l’influence des puissances occidentales, ils ont mis en œuvre leur entreprise de destruction : introduction du multipartisme, autorisation des ONG, libéralisation du secteur des médias, abandon du contrôle des moyens de production avec la privatisation des industries publiques, et rupture du lien entre le Parti et l’armée.” Analyse du documentaire En mémoire des vingt ans de la mort du Parti et du pays en Union Soviétique (2013) - les Russes se souviennent. (2013). Bougon, François. Dans la tête de Xi Jinping. 2017. Actes Sud. p38.
“Entreprise de destruction”, Xi Jinping n’y va pas de main morte pour qualifier nos valeurs démocratiques ! Certains dictateurs renient ces principes tout en faisant semblant d’y adhérer. Ce n’est pas le cas de Xi qui démontre mathématiquement que les idéaux occidentaux sont nocifs à la Chine. En 2016, l’élection de Donald Trump conforte sa démonstration : la Chine est une véritable méritocratie permettant la gouvernance de personnes compétentes et la démocratie un système soumis « aux lois de l’argent et aux aléas ». (Bougon, F. 2017).
Xi Jinping « picore » où ça l’arrange dans l’histoire de Chine
La stratégie réthorique de Xi Jinping consiste à rassembler les “trois traditions” chinoises : celle de la Chine impériale, celle du communisme de Mao et celle des réformes économiques d’ouverture de Deng Xiaoping. Ce mélange est très important puisqu’il lui permet d’utiliser la continuité de la grande civilisation millénaire comme un droit à dominer le monde. Cela nourrit aussi une fierté nationale en Chine, tout en entretenant l’argument selon lequel la culture chinoise, unique et complexe, serait incompatible avec des valeurs dites universelles comme la démocratie ou les droits de l’homme.
Un pincée de Confucianisme
Tandis que Mao fustigeait Confucius pendant la Révolution Culturelle et le considérait comme une des quatre “vieilleries”, les dirigeants chinois réhabilitent Confucius depuis la mort du Grand Timonier. Ce retour de la pensée confucéenne est d’abord stratégique. Plus qu’une réelle adhésion à sa philosophie, c’est d’abord un moyen de légitimer l’autorité du Parti Communiste Chinois. La philosophie confucéenne, qui prône une soumission au souverain à condition que celui-ci soit exemplaire, est bien utile pour faire accepter un chef d’État puissant et autoritaire. De plus, convoquer une tradition confucéenne permet de mettre un nouveau nom sur le régime chinois et ainsi échapper aux cases occidentales :
“Cela permet aux dirigeants de dire : la Chine n’est ni une dictature, ni un régime autoritaire, c’est un régime confucéen”. Bougon, François. Dans la tête de Xi Jinping. 2017. Actes Sud. p113.
La philosophie confucéenne a finalement bien servi la transition communiste vers l’ouverture capitaliste, permettant ainsi de faire accepter les inégalités sociales grandissantes. En effet, Confucius accepte une société hiérarchisée dans lesquels il y a des puissants et des faibles, mais dans laquelle tout le monde peut progresser. On tend plus vers le “quand on veut on peut” capitaliste que vers la collectivisation communiste des terres.
Même si l’utilisation du confucianisme est bien pratique, Xi Jinping semble tout de même croire sincèrement en certains de ses principes. Chez Confucius, la soumission au souverain repose sur l’impératif pour celui-ci d’être exemplaire, sans quoi le peuple est en droit de se rebeller. On retrouve une certaine volonté chez Xi d’être moralement exemplaire et c’est ce qu’il exige des autres dirigeants du PCC. Pas de frasques, pas de corruption, pas d’exubérance, pas de scandales d’adultères, on se souvient de la description du diplomate américain “Xi Jinping ne parlait pas de femmes, ne buvait pas, ne prenait pas de drogues. Il ne s’intéresse pas à l’argent et n’est pas corrompu.” La campagne anti corruption qui vise à sanctionner tous les écarts de conduite, qui étaient monnaie courante depuis le boom économique, en est un bonne illustration. Il devient d’ailleurs très mal perçu pour les dirigeants du PCC et les chefs d’entreprises d’être ostentatoires. Être exemplaire pour un souverain, c’est super, mais tout dépend de sa vision de l’exemplarité. Pour Xi Jinping, ne pas créer de camp de travail forcé pour une ethnie musulmane, ne pas emprisonner les dissidents, ne pas surveiller toute sa population, ne semble pas faire partie des prérogatives d’un chef irréprochable…
Un soupçon de taoïsme en apparence
Xi Jinping fait souvent référence au taoïsme dans ses discours en s’appuyant sur le concept d’évolution lente de la nature et sur l’idée qu’il ne faut pas forcer les choses. Ces références sont un moyen de plus de renforcer la fierté nationale en évoquant cette sagesse 100% chinoise. Mais en pratique, Xi Jinping n’applique absolument pas les concepts taoïstes. Le taoïsme encourage en effet une gouvernance légère, avec peu de lois et un minimum de contrôle. Au contraire, Xi impose des plans quinquennaux très intenses qui propulsent radicalement certains secteurs économiques ou modifient les paysages urbains en quelques années. On ne peut pas faire plus interventionniste et dirigiste !
Mais une bonne dose de légisme en réalité
Bien plus que le taoïsme, Xi Jinping s’inspire directement du légisme dans sa manière d’exercer le pouvoir. Cette philosophie, héritée du penseur Han Fei et appliquée par l’empereur Qin Shi Huang (259-210 av -J.C.), repose sur l’idée d’une nature humaine fondamentalement égoïste et intéressée. Seule la contrainte, la peur, des lois strictes et des punitions dures dictées par un chef puissant peut garantir l’ordre social. L’autoritarisme n’a au final pas besoin d’explications, il est nécessaire à l’existence même de la société. Les lois sont faites pour protéger le pouvoir en place et non pour assurer le droit des citoyens et les libertés individuelles. Leur but ? Éviter le chaos. Ce système de valeurs, historiquement prégnant dans les gouvernances chinoises, permet d’expliquer la brutale répression exercée par Xi Jinping contre les avocats et les défenseurs de la démocratie. Il justifie aussi l’absence d’un État de droit et de la séparation des pouvoirs. L’indépendance de la justice n’est même pas feinte, l’influence politique est totalement assumée, théorisée par des penseurs qui façonnent les systèmes politiques chinois depuis des centaines d’années. Depuis l’amendement de 2018, cette notion est même inscrite dans la Constitution : "improve the socialist legal system" is amended to read "improve socialist rule of law". [améliorer le système judiciaire socialiste” est devenue “améliorer la règle socialiste des lois”] Page officielle de la Constitution. On ne parle plus d’un système judiciaire potentiellement indépendant mais d’une application stricte des lois.
Pour agrémenter un assortiment de Marxisme-Leninisme
N’oublions pas que la Chine est l’un des derniers pays communistes du monde : elle se nomme toujours République Populaire de Chine et est dirigée par le Parti Communiste Chinois. Mais ce communisme est quelque peu étonnant : nous gardons en tête l’image des terres collectivisées et des goulags d’URSS alors qu’on trouve des KFC partout en Chine. Même si la Chine a maintenant une économie capitaliste, les dirigeants chinois, et Xi Jinping plus que jamais, cherche à s’inscrire dans l’héritage du marxisme-léninisme.
Xi Jinping invoque constamment le marxisme dans ses discours dont il a adapté les concepts à la Chine.
Outre le rôle extrêmement important du Parti Communisme qu’on retrouve dans le marxisme-leninisme, Xi Jinping insiste sur la réduction des inégalités. Tout en rejetant totalement l’idée de lutte des classes, il élabore le concept de “prospérité commune”, inspiré du Xiaokang de Confucius, notion centrale de Xi, qui consiste à réduire les inégalités sociales et économiques pour permettre à toute la population de bénéficier des fruits du développement économique – et non seulement une élite urbaine ou entrepreneuriale.
Rappel : Définition du Marxisme
Doctrine économique et politique fondée par Karl Marx au XIXème critiquant la société capitaliste et l’économie de marché. Il dénonce l’exploitation de la classe des travailleurs par une minorité dominante qui trouve sa source dans le décalage injuste entre la valeur produite par le travailleur et le salaire qu’il reçoit. Le but ultime est de parvenir, grâce à la lutte des classes, à un système communiste : une économie collective, sans État, sans propriété privée et sans classes sociales. Pour y parvenir, une phase provisoire est nécessaire : un État fort, autoritaire, doit assurer la transition.
Il explique lui-même par exemple : “La révolution technologique et la transformation industrielle donne un nouvel élan au développement économique, mais elles ont aussi de profonds effets sur l’emploi et la distribution des revenus, y compris des effets négatifs. Il faut étudier ceux-ci et y remédier” Citation de Xi Jinping reportée. Lemaître, Frédéric. Comprendre la Chine de Xi Jinping. Les Ateliers du Monde. 2025. Le Monde.
Xi Jinping serait-il donc de gauche ? Alors…oui et non. Oui, pour cette aspiration à l’équité sociale et à la réduction des inégalités régionales mais pas vraiment gauche comme on l’entend en France puisqu’il ne croit pas à la protection sociale ni à l’État Providence :“Des pays développés se sont industrialisés depuis des siècles mais, en raison de leurs systèmes sociaux, ils n’ont pas résolu le problème de la prospérité commune et, de fait, l’écart entre riches et pauvres empire. Le gouvernement ne peut pas s’occuper de tout (…). Nous devons résolument éviter de tomber dans le piège de l’État-providence qui entretiendrait des gens paresseux.” Sa solution est différente, il veut : “Favoriser l’ardeur au travail et l’innovation comme voie de l’enrichissement. Il faut augmenter le capital humain de la société dans son ensemble ainsi que les savoirs professionnels, il faut accroître la capacité des gens à trouver un emploi, créer une entreprise et renforcer leur aptitude à s’enrichir.” Citation de Xi Jinping reportée. Lemaître, Frédéric. Comprendre la Chine de Xi Jinping. Les Ateliers du Monde. 2025. Le Monde.
Sans mettre en place de réelle protection sociale, Xi Jinping a tout de même oeuvré à l’éradication de l’extrême pauvreté en Chine en menant un immense programme ayant pour objectif d’assurer l’accès à tous au logement, à une alimentation suffisante, à l’éducation et aux soins. Ce programme a permis le déplacement de millions de personnes habitant dans des zones isolées, montagneuses et rurales vers des logements modernes à proximité desquels ont été installés des écoles, des hôpitaux et des routes. Les personnes extrêmement pauvres ont aussi bénéficié de programmes d’éducation et de création d’emplois. Cette initiative a un bilan très positif et la Chine se vante d’avoir éradiqué sa pauvreté en 2020. Cette affirmation est tout de même à prendre avec des pincettes : elle utilise une notion de pauvreté qui relève plutôt d’extrême pauvreté pour les standards internationaux.
Il encourage la philanthropie pour réduire les inégalités et tente d’augmenter les impôts. En Chine, les impôts concernent le revenu et les entreprises et il y a une TVA. Mais la succession, le foncier et la fortune ne sont pas taxés. Xi Jinping essaie depuis des années d’instaurer une taxe foncière mais celle-ci est très difficile à mettre en place. D’abord, aucun recensement des propriétés n'avait été effectué depuis des années tant le marché de l’immobilier s’est développé rapidement. Et puis, souvenez-vous, les biens immobiliers ont rapporté gros aux collectivités au moment de leur vente. Les propriétaires estiment donc avoir déjà payé.
Malgré l’apparente bonne volonté de Xi Jinping et quelques programmes d’envergure réussis, la Chine reste l’un des pays les plus inégalitaires au monde et Xi Jinping peine à réduire les disparités.
Racisme d’État et nationalisme : un parti d’extrême droite
Peut-être un peu de gauche, mais aussi et surtout d’extrême droite. La définition de l’extrême droite est large et fait plus que jamais débat. Mais si l’on prend quelques idées phares tels que la glorification de la nation, le rejet de l’immigration, la valorisation de l’ordre, l’hostilité contre les minorités, le révisionnisme historique, le rejet de l’État de droit et des droits de l’homme, le Parti Communiste Chinois coche toutes les cases. Seul le populisme n’est pas de la partie : Xi Jinping n’est pas de ceux qui encensent le peuple et dénigrent les élites. (Lemaître, Frédéric. Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping. 2024. Tallandier).
Côté immigration, il est impossible de devenir chinois, la naturalisation n’existe pas et Xi Jinping est convaincu de la supériorité de la “race” chinoise. Même si je n’ai jamais croisé le mot dans mes recherches, des notions telles que l’existence d’un “gène rouge” qui doit perdurer et qui implique l’ouverture de centre de recherche génétique, la castration des femmes ouïghoures et l’idée de “qualité de la population” sont quand même très claires. S’il est impossible de devenir chinois, il est également impossible de ne plus l’être. “Chinois un jour, Chinois toujours”, la nationalité chinoise ne peut pas se perdre, le Parti essaie de maintenir un certain contrôle sur sa diaspora. Cet élément explique en partie la volonté absolue d’intégrer Taïwan à la Grande Nation Chinoise.
Le nationalisme, quant à lui, est exacerbé par les dirigeants et représente même un fondement de la stabilité politique. Il y a encore des centaines de millions de pauvres, mais ceux-ci se réconfortent d’appartenir à la plus grande des nations, celle qui domine le monde et dont la culture ancienne est supérieure aux autres.
Le Document n9 secret : la méfiance et la haine de l’Occident
En avril 2013, soit seulement quelques temps après l’accession au pouvoir de Xi Jinping, un document officiel secret destiné aux cadres du Parti, le document n°9, est diffusé par une journaliste dissidente, depuis arrêtée, jugée pour « divulgation de secrets d’état » et condamnée à sept ans de prison. Celui-ci recense sept concepts idéologiques venant de l’Occident qui représentent une menace pour le rêve chinois et que tous les communistes doivent combattre :
- La démocratie constitutionnelle occidentale. Nous l’avons vu plus haut, la démocratie occidentale, c’est pire que tout !
- Les valeurs universelles. Il n’existe pas de valeurs universelles, seulement des valeurs occidentales et des valeurs asiatiques. Le PCC dénonce la volonté des occidentaux de vouloir imposer ces valeurs au monde entier (droit de l’homme, liberté d’expression, pluralité politique) alors qu’elles ne fonctionneraient pas en Chine.
- La société civile. Elle n’existe pas, tout doit être contrôlé. La population ne représente pas une entité indépendante du Parti.
- Le néolibéralisme. Xi Jinping accuse l’Occident de critiquer l’intervention du PCC dans l’économie - en avançant par exemple qu’il freine l’innovation et “étouffe” l’économie - et de recommander le néolibéralisme, uniquement pour saper le pouvoir du gouvernement.
- La liberté de la presse. Le rôle des journalistes est de diffuser les idées du Parti. C’est tout. Et on leur a expressément notifié : “En février 2016, lors d’une visite au siège du Quotidien du Peuple (plus grand journal de la République Populaire de Chine), Xi Jinping affirmait que les médias officiels “ont le Parti pour nom de famille” et doivent “refléter la volonté et les idées du Parti, sauvegarder l’autorité du Comité central du Parti, maintenir l’unité du Parti, aimer le Parti, protéger le Parti et servir le Parti”.” Juliennen, Marc. Hanck, Sophie. Diplomatie chinoise : de l'« esprit combattant » au « loup guerrier », de L'Ifri. 2021. p15.
- Le nihilisme historique. Il est interdit d’avoir une vision de l’histoire différente de celle du Parti Communiste, qui, on l’a vu, est souvent arrangée à son avantage.
- La remise en question des réformes économiques chinoises.
Aujourd’hui, “l’Occident” est diabolisé et tenu pour responsable des malheurs du monde. Anciens colonisateurs, responsables des guerres en Irak et des “révolutions de couleur” en Egypte et à Hong Kong :
“Si les États-Unis sont perçus comme le premier des pays occidentaux et l’ennemi numéro 1 de la Chine, les Européens sont perçus comme “des Occidentaux un tout petit peu mieux que les Américains” […]. Mais la perception générale des pays occidentaux reste négative au sein des autorités chinoises, qui considèrent que pendant trop longtemps ces pays ont humilié la Chine - y compris les Européens, pendant les guerres de l’Opium-, et qu’on ne peut réellement leur faire confiance sur le long terme, car ils ne se priveront pas de s’ingérer dans les affaires du pays”. Ekman, Alice. Dernier Vol pour Pékin. L’Observatoire. 2022. p44
La pensée de Xi Jinping est donc bien théorisée, expliquée et doit être apprise dans les entreprises et à l’école. À la différence de certaines dictatures, Xi Jinping ne s’efforce pas de se faire passer pour une démocratie, il prouve par a + b que ce système ne convient pas à la Chine et que les ambitions du pays seraient entravées par plus de libertés. Il prend les éléments historiques qui l’arrangent pour stimuler la fierté nationale et semble convaincu que son système de valeurs permettra à la Chine de devenir 1ère puissance mondiale d’ici 2049 si les chinois font les concessions et les efforts nécessaires, et s’ils lui font confiance. « Le Parti attend ainsi des individus qu’ils soient positivement et significativement engagés au service de la collectivité, du Parti et de la nation, au-delà de leurs préférences, aspirations et libertés individuelles » (Ekman, Alice. Rouge vif : l’idéal communiste chinois. 2020. L’Observatoire). Ces derniers n’ont de toute façon plus le choix, puisque Xi Jinping est désormais Président de la République Populaire de Chine, Secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC), et Président de la Commission militaire centrale le temps qu’il le souhaite !
Les points à retenir
- Xi Jinping devient Président de la République Populaire de Chine en 2013, après avoir été lui-même victime de la Révolution Culturelle de Mao. Pourtant, il gravit tous les échelons du Parti pendant plus de 40 ans pour atteindre le sommet.
- La stratégie réthorique de Xi Jinping consiste à rassembler les “trois traditions” chinoises : celle de la Chine impériale, celle du communisme de Mao et celle des réformes économiques d’ouverture de Deng Xiaoping. Ce mélange est très important puisqu’il lui permet d’utiliser la continuité de la grande civilisation millénaire comme un droit à dominer le monde.
- Cela nourrit aussi une fierté nationale en Chine, tout en entretenant l’argument selon lequel la culture chinoise, unique et complexe, serait incompatible avec des valeurs dites universelles comme la démocratie, les droits de l’homme, l'État de droit et la séparation des pouvoirs. Les sociétés occidentales et démocratiques sont d'ailleurs en déclin, c'est au tour de la Chine de devenir n°1.
- Bien que contesté par certains, son autoritarisme ne l'empêche pas d'acquérir une certaine popularité grâce à sa notion de "prospérité commune" traduite par des programmes anti-corruption et de lutte contre l'extrême pauvreté.
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